«La BCGE a tout d’une grande»

«La BCGE a tout d’une grande»

novembre 25, 2025 Non Par Edouard Bolleter

Edouard Bolleter • Rédacteur en chef • e.bolleter@pointdemire.ch

La Banque cantonale de Genève (BCGE) a nommé Nicolas Krügel président de la direction générale (Chief Executive Officer / CEO) du groupe BCGE en mars 2024 pour succéder à Blaise Goetschin, lui-même en fonction depuis le 1 er octobre 2000. Nicolas Krügel a passé les vingt-sept premières années de sa carrière au sein du groupe Credit Suisse. Vingt et un mois après son accession à la direction de la Banque cantonale, il bénéficie d’une importante expertise dirigeante ainsi que d’une vue d’ensemble de l’établissement aussi exhaustive que personnelle. Nicolas Krügel nous a expliqué les changements qu’il a tenu à apporter dans la banque, tant au niveau opérationnel que philosophique. Lesquels, toujours d’actualité, sont passionnants. Un entretien au long cours qui s’est déroulé dans la banque la plus genevoise qu’il puisse exister.

Par Edouard Bollleter

PdM.: Nicolas Krügel, quelles sont les étapes importantes de votre parcours, à votre avis?

Nicolas KrügelJe suis un Neuchâtelois d’origine, qui s’est «exporté» en Suisse romande puis alémanique. Je suis un banquier universel par passion et j’ai grandi dans le métier du crédit et dans tous les segments d’une banque universelle. Dans ces secteurs, j’apprécie le fait qu’il faille gagner la confiance des investisseurs et des clients, une sorte de tango durant lequel on se doit d’être transparent et comprendre qui est en face de nous. C’est un exercice qui demande beaucoup d’humilité. J’aime ce rôle que j’ai endossé durant vingt-sept ans chez Credit Suisse au cœur du métier de banquier. Une fois que vous avez appris à apprécier votre vis-à-vis et sa situation, à comprendre ses nuances de gris, vous êtes équipé pour conduire des équipes et développer des projets. C’est une belle école.

Quel est votre profil de manager?

Cela fait trente ans que j’évolue dans des rôles de conduite tant au niveau professionnel qu’associatif, dans le privé ou dans le public. Et j’ai toujours aimé cette diversité-là car je pense qu’il n’existe pas qu’une seule manière de conduire des équipes. J’aime ces différences qui demandent d’avoir plusieurs comportements et, ainsi, plusieurs cordes à son arc.

Quelles sont vos observations sur la banque et son fonctionnement, 18 mois après votre arrivée?

En quelques mots, elle a tout d’une grande, elle propose tous les métiers, sauf celui de la banque d’affaires. C’est une caractéristique qui m’a bluffé, celle de constater à quel point elle était présente avec une expertise auprès des clients privés, commerciaux, des professionnels de l’immobilier, des institutionnels. Et à chaque fois, il existe une franchise, un savoir-faire, une boîte à outils que nos collaborateurs utilisent avec courage. Eux sont engagés dans leurs missions et délivrent rapidement, cela m’a vraiment marqué.

Quels sont vos objectifs pour la banque?

Nous avons besoin de focaliser davantage sur le processus commercial. Nous avons ainsi transformé l’organisation régionale en une organisation par segments. Il y a aujourd’hui une responsable de la gestion de patrimoine, une patronne pour les particuliers et la banque digitale et un responsable de la banque commerciale. Nous devons aussi mieux expliquer notre appétit au risque. Ce n’est pas un secret, il faut le faire comprendre à l’interne et au client.

Et en ce qui concerne les activités?

Il m’a semblé opportun de positionner la banque aussi comme gestionnaire de patrimoine, de private banking. J’ai souhaité que nous soyons plus visibles dans le métier. Nous avons engagé Katia Coudray, pour diriger la division Wealth & Asset Management, et Nicolas Mougeot, en tant que CIO, et avons développé notre expertise dans cette activité. Un autre changement important est en cours. J’ai eu besoin d’exprimer une vision simple: «Notre aspiration, concrétiser celle des autres». Nous devons être à l’écoute des rêves de nos clients et essayer de les réaliser avec eux. C’est une philosophie qui me tient à cœur, nous sommes au service de gens qui habitent à Genève et nous les accompagnons le plus loin possible, tout au long de leur existence. Cela oriente la banque différemment et cela est valable pour le front comme pour le back-office. Enfin, nous avons clarifié la notion de risque et défini une manière de le gérer. C’est dans la nature d’une banque de prendre des risques, elle est rémunérée pour cela. Mais il lui faut savoir l’évaluer avec précision

Quelles sont les différences entre la BCGE et Credit Suisse, que vous avez bien connu?

Ce qui m’a frappé en arrivant à la BCGE, c’est cette culture entrepreneuriale, très similaire à celle qu’avait Credit Suisse. Je constate une expertise métier commune dans les deux établissements ainsi qu’une histoire importante. La BCGE est la plus vieille banque universelle en Suisse: elle est née 40 ans avant Credit Suisse, c’est incroyable. Ce sont deux très vieilles institutions. Évidemment, il existe des différences. J’en vois deux principales. La proactivité commerciale est moins prononcée à la BCGE et nous devons la renforcer. La diversité culturelle est également moins grande qu’à Credit Suisse, ce qui est somme toute logique car nous sommes une banque régionale qui n’a pas vocation à être un groupe d’envergure mondiale. Cela dit, nous sommes ouverts sur l’international, à l’image de Genève.

Quel est le rôle du Conseil d’administration?

Nous avons besoin d’administrateurs qui orientent la banque et qui la comprennent. C’est le cas. Nos administrateurs sont des professionnels liés au métier, à notre activité. Les relations entre la direction et le conseil sont très bonnes.

Les résultats du premier semestre semblent contrastés…

Durant le premier semestre, nous avons affronté des vents contraires dus à la contraction des taux directeurs. Cela a été le cas pour l’ensemble des banques en Suisse, mais nous avons été particulièrement exposés du fait des liquidités importantes que la BCGE détient auprès de la BNS. En même temps, il s’est passé des choses très intéressantes. Nous continuons de gagner des parts de marché et des actifs sous gestion. De plus, nous avons maîtrisé les coûts et nous contrôlons notre cost/income ratio, nous sommes donc davantage productifs.

La banque a aussi innové!

Nous avons en effet lancé un emprunt en euros et ce fut une sacrée aventure. À ce sujet, nous pouvons nous comparer aux gros établissements bien que nous soyons une banque de catégorie 3! En outre, nous avons complètement renouvelé la gouvernance de la banque avec de nouveaux statuts et nous avons divisé par 10 le cours de l’action, ce qui le rend beaucoup plus accessible. C’était un immense projet, je m’attendais à un parcours plus difficile mais tout s’est déroulé parfaitement.

Abordons le secteur du négoce, si puissant à Genève!

Le négoce et les personnes domiciliées à Genève qui travaillent dans ce secteur représentent un microcosme unique au monde. Depuis Genève, il se contrôle environ 60% des échanges de matières premières et d’énergie, c’est une concentration d’acteurs absolument remarquable. Nous constatons chaque année l’arrivée de nouveaux négociants qui se domicilient à Genève car les meilleurs experts sont sur place. Ce secteur représente une création de valeur incroyable. C’est une activité qui requiert de la discipline et de l’expertise et qui demande de rester humble car certaines années sont plus difficiles que d’autres et l’alternance des cycles peut provoquer des pertes. La BCGE est active dans ce secteur depuis plus de trente ans.

Les PME souffrent, elles ont besoin de soutiens bancaires.

En ce qui concerne les PME, nous désirons faire encore mieux. C’est dans la mission première de la banque de servir les petites, moyennes et les grandes entreprises de l’économie genevoise. La situation est difficile pour les PME, mais ce n’est pas nouveau. Il est fascinant de constater comment les entrepreneurs réagissent et s’adaptent. Je les trouve agiles et courageux, capables d’évoluer sans cesse. Les patrons sont des virtuoses et nous sommes là pour les accompagner même s’il faut parfois rester réaliste en leur expliquant les limites et les possibilités concrètes.

Quels sont les objectifs à moyen terme pour la BCGE?

Le premier est de trouver un meilleur équilibre entre les activités des crédits qui prédominent et celles des commissions. J’aimerais qu’elles soient à des niveaux comparables. Un autre objectif est la performance de l’action, qui doit être le reflet d’un ROE (Return on Equity) durable et élevé. Rapporté aux fonds propres, le cours de l’action est encore sous-évalué.

La BCGE en Suisse, quelle est sa place?

Si on prend le bilan de la BCGE, celui de la BCV est 2 fois plus grand et celui de la ZKB est 6 fois plus important. Si on se compare à UBS Suisse, on obtient un chiffre 16 fois plus grand. Nous ne sommes donc pas les premiers de la classe de ce point de vue. Mais la Banque cantonale de Genève est unique, comme son canton, beaucoup plus projeté sur l’international et le reste de la Suisse. Nous servons nos clients à Lausanne, à Zurich et Bâle. Nous avons aussi une banque en France, ce qui est un prolongement logique en termes géographiques. La structure des revenus est également très différente, nous dépendons plus des entreprises que des individus.

Quel est votre message aux entrepreneurs de la finance, nos lecteurs?

Le message aux entrepreneurs de la finance est une citation de Peter Drucker: «La culture mange la stratégie au petitdéjeuner.» La culture d’entreprise est l’aspect le plus important dans notre banque. Il faut être clair sur quelles sont nos valeurs, comment on travaille ensemble. Cela a plus d’impact sur le marché que tout autre argument. Une culture d’entreprise demande des années de travail.

Les résultats du premier semestre

Un emprunt en euros

La Banque cantonale de Genève (BCGE) a émis un emprunt obligataire en euros d’un montant de 500 millions offrant un coupon fixe de 3,414% et arrivant à échéance le 27 mars 2030. Cette opération, inédite jusqu’alors, a rencontré un franc succès auprès des investisseurs de toute l’Europe. La BCGE devient la première banque cantonale de catégorie 3 à émettre sur le marché européen un emprunt obligataire libellé en euros. Cet emprunt permet à la Banque de diversifier ses sources de financement et de compléter son refinancement à long terme. En s’adressant au marché européen, elle accroît le cercle de ses investisseurs et renforce sa notoriété à l’international. Elle accompagne ainsi la croissance des financements des entreprises et des particuliers. Par ce biais, la Banque renforce également sa marge de sécurité s’agissant des ratios de liquidité qui découlent du cadre réglementaire. L’engouement suscité par cette émission et le succès du placement témoignent de la confiance des investisseurs dans l’établissement et confirment la bonne qualité d’émetteur de la BCGE.

Nicolas KRÜGEL en bref