
«La digitalisation et le conseil personnel resteront prioritaires»
mai 28, 2025Jörg Odermatt est sans conteste un des précurseurs en Suisse dans la gestion et le conseil de la prévoyance. Suivant son expérience et ses convictions, il a fondé durant l’année 2000 à Lucerne la société PensExpert. Celle-ci ne fera ensuite que grandir pour atteindre aujourd’hui près de 10 milliards de francs gérés avec 16 000 personnes assurées. Nous avons rencontré Jörg Odermatt dans les locaux du groupe à Lausanne afin de parler de la croissance de PensExpert, mais également de la situation de la prévoyance en Suisse en 2025. L’expert donne son avis et ses conseils et offre également de nombreuses pistes de réflexion dans un domaine en mutation obligatoire et qui concerne tous les citoyens.
PdM: Jörg Odermatt, PensExpert a été fondée il y a 25 ans. Parlez-nous de cette période. Comment était le monde de la prévoyance en l’an 2000? Comment avez-vous eu l’idée de lancer cette société?
Jörg Odermatt: L’idée était très claire. PensExpert voulait offrir plus de choix de placement pour chaque assuré. Cela veut dire que chaque assuré doit pouvoir choisir sa propre stratégie de placement. C’était très nouveau en Suisse comme idée. Nous l’avons lancée dans le but d’offrir de la transparence dans la gestion et les frais, ainsi que les performances. Au début des années 1990, le taux minimal de rémunération en prévoyance était de 4%, alors que les taux d’intérêt sur les marchés étaient de 6% en moyenne. À l’époque, investir uniquement dans les obligations fédérales suffisait à ramener 6 à 7%! Les suppléments étaient versés dans les réserves des caisses de pension et n’étaient pas redistribués aux assurés. J’ai pensé que le système n’était pas juste. Je me suis dit, il est l’heure de créer ma propre entreprise avec mes idées.
Qui étaient les autres acteurs impliqués dans la création de l’entreprise? La banque Reichmuth a joué un rôle important, est-ce exact?
Oui, c’est vrai. Si j’avais commencé seul avec cette idée, cela aurait été compliqué. Il fallait donc tout de suite chercher une banque en accord avec mes ambitions. Il fallait également négocier avec cet établissement le droit de coopérer avec d’autres banques. C’était pour moi l’un des buts les plus importants. Ensuite, il a fallu convaincre les clients de venir chez nous et leur expliquer pourquoi les autres sociétés de prévoyance ne proposaient pas nos solutions. Au début, comme pour toutes les PME, le plus difficile fut de trouver les premiers clients. En l’occurrence, mon premier client était un avocat à Zurich.
Comment provoquer des changements dans le domaine figé de la prévoyance?
Au tout début, nous avons fait beaucoup de lobbying. Car la loi LPP ne prévoyait pas nos changements et nos idées. Il a fallu beaucoup discuter avec les autorités de surveillanceLPP et les administrations fiscales. Celles-ci n’étaient d’ailleurs pas défavorisées par nos propositions. Mais il fallait tout expliquer pour recevoir les acceptations du libre choix de placement pour les cadres. Heureusement, l’autorité de surveillance LPP était ouverte à ces pistes.
L’année dernière a été marquée par un nouvel échec de révision de la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Pourquoi ce nouvel échec? Comment y remédier? Que peuvent entreprendre les entreprises de leur propre initiative pour compenser les faiblesses du système de prévoyance actuel?
Il faut beaucoup parler avec les parlementaires, surtout aujourd’hui. Car la situation du marché du travail a beaucoup changé ces dernières années. La LPP a aujourd’hui 40 ans. Mais les lois n’ont pas beaucoup évolué et ne sont donc plus adaptées à la société actuelle. C’est le grand défi pour les prochaines années, surtout après les votations de 2024 qui ont été refusées.
À ce sujet, pensez-vous que les Romands et les Suisses alémaniques ont des sensibilités différentes sur les questions de prévoyance?
Il n’y a pas vraiment de grande différence d’idées, à mon avis dans le domaine de la prévoyance. Peut-être que les employés romands pensent que l’AVS est plus importante que la LPP alors que les Alémaniques pensent plutôt que les deux piliers sont importants car cela assure une diversification du système. C’est du moins ce que je ressens.
Revenons à l’entreprise PensExpert qui fête ses 25 ans. Comment se porte-t-elle actuellement? Vous approchez les 10 milliards d’actifs sous gestion…
On n’a jamais pensé atteindre ce chiffre et cela n’a jamais été notre objectif. Le but était de réaliser une fondation avec le libre choix de placement. Le but était également d’apporter plus de transparence et plus de performance pour les assurés. Mais si la population continue son évolution et que nos performances restent régulières, nous pouvons envisager entre 15 et 20 milliards sous gestion pour les cinq à dix prochaines années. Mais je le répète, ce n’est pas le but premier. Nous préférons avant tout réfléchir à des solutions de prévoyance modernes, notamment pour les jeunes d’aujourd’hui.
Planifiez-vous des actions spéciales pour ce 25 e anniversaire? Si oui, lesquelles?
Nous avons plusieurs actions. Nous lançons un livre relatant l’historique de PensExpert et ses idées pour l’avenir. Il y aura des interviews, avec Avenir Suisse par exemple. Nous proposons aussi une étude avec l’Université de Saint-Gall sur le sujet de la prévoyance et de l’intelligence artificielle. Nous voulons également évaluer comment le peuple suisse a changé sa perception de la prévoyance. C’est la raison pour laquelle l’institut de sondage Sotomo va réaliser une enquête pour le compte de PensExpert. J’espère qu’elle nous donnera des pistes intéressantes pour l’avenir.
Quelles sont vos priorités pour l’avenir?
La digitalisation et le conseil personnel resteront prioritaires. Ces éléments sont les plus importants, mais c’est certainement le cas pour de nombreuses fondations. La jeune génération a des idées très différentes, nous voulons nous adapter à ces évolutions liées à la conciliation entre vie privée et professionnelle. Les nouvelles générations désirent avoir davantage de pauses sabbatiques ou bénéficier de formations innovantes dans leur vie. Les jeunes aimeraient aussi rester plus longtemps à la maison lorsqu’ils deviennent parents et s’occuper plus des aînés. Ce sont des sujets qui concernent les phases de la vie. Et la question est: quelle va être la source de financement de ces phases?

Quelles sont les réponses dans ces cas?
En Allemagne, il existe un système qui s’appelle le «Zeitwertkonto». Il s’agit d’un compte épargne-temps pour des phases de la vie lors desquelles aucun salaire n’est perçu. Si un employé cumule des heures supplémentaires ou des jours de congé non pris, il peut transférer les rémunérations liées à ces derniers sur son compte épargne-temps sans payer d’impôts. Cela est très utile lors de certains événements de la vie, comme pour une période de formation, un congé parental ou encore une période dédiée aux soins des proches. C’est également très intéressant pour les entreprises car ce système est un réel avantage pour garder et attirer les bons collaborateurs. Il faudrait créer cela en Suisse et PensExpert travaille beaucoup sur ce sujet. Il faudra persuader les autorités politiques à Berne dans le but de concrétiser cette nouvelle possibilité. Ce sujet concerne tous les partis, de gauche comme de droite, car ces idées nous concernent toutes et tous. Mais lorsque l’on arrive avec une nouvelle proposition, il faut toujours ensuite beaucoup de temps et de communication pour réussir. Souvent des années. PensExpert prévoit de lancer différentes mesures pour la mise en place d’un compte épargne-temps en Suisse.
Quelles sont les demandes des clients en 2025?
PensExpert offre plutôt des produits pour les collaborateurs qui ont des revenus au-dessus de la moyenne. Car le libre choix de placement est possible, mais à partir de 136 000 francs, seuil légal du modèle 1e. Cela veut dire qu’il est difficile de proposer des solutions spécialisées pour les salaires moyens. Il faut trouver des ouvertures pour ces personnes qui sont en demande. Les employés qui désirent travailler après la retraite aimeraient aussi avoir plus d’options. Pour l’instant, il n’existe pas vraiment de solution adéquate pour ces personnes qui sont de plus en plus nombreuses. Beaucoup de caisses de pension réfléchissent à trouver des solutions.
Il existe aujourd’hui de nombreux acteurs dans le domaine des solutions de prévoyance. Qu’est-ce qui distingue PensExpert?
Il y a des entreprises qui se concentrent à 100% sur la digitalisation avec leur fondation. Les coûts sont moins importants mais il n’existe plus de conseil. Nous accélérons aussi la digitalisation, mais nous garderons toujours un conseil personnalisé de haute qualité au niveau prévoyance et fiscalité. Nos clients recherchent un contact humain. PensExpert collabore avec plusieurs banques, c’est aussi un de nos atouts.
Planifiez-vous des acquisitions prochainement?
Nous ne cherchons pas activement. Mais si des opportunités se présentent, nous sommes ouverts. Nous avions fait deux acquisitions en 2003 et en 2005.
«Le Parlement semble peu motivé pour lancer de nouvelles réformes à court terme.»
Prévoyez-vous l’ouverture de nouveaux bureaux? Vous êtes également actifs à l’étranger, en Allemagne, est-ce correct?
Il y a une grande possibilité que nous ouvrions bientôt un bureau à Genève, cette année encore si l’on trouve un lieu idéal. Nous avons effectivement une société en Allemagne. Et nous profitons de cette présence pour comprendre le système allemand.
Les politiques suisses en font-ils assez pour la prévoyance à votre avis?
Il y a eu une votation en 2017 sur l’AVS et le 2e pilier. également en 2024 sur la prévoyance professionnelle. Les deux fois, le peuple suisse a dit non. Après deux votations perdues, en 2017 et 2024, le Parlement semble peu motivé pour lancer de nouvelles réformes à court terme. Malheureusement, je pense que la situation ne va pas changer au niveau politique durant ces prochaines années. On ne remarque pas de grandes motivations. Pourtant, il est nécessaire d’avancer et PensExpert continuera d’essayer de jouer un rôle constructif dans ce processus.

Pensexpert en résumé
Lors de sa fondation en mai 2000 à Lucerne, une chose était claire dès le départ pour les fondateurs de PensExpert: les fonds de prévoyance professionnelle n’appartiennent pas à n’importe quelle caisse de pension, mais toujours aux preneurs de prévoyance individuels et les solutions de prévoyance individualisées et basées sur la responsabilité personnelle proposées par PensExpert s’orientent vers le Private Banking. Elles sont adaptées à la fiscalité et offrent une plus-value prouvée dans toutes les phases de la vie. Sur six sites en Suisse et un site en Allemagne, ainsi que cinq fondations de prévoyance, plus de 90 collaborateurs et collaboratrices sont présents.