La gestion de fortune suisse ne doit plus servir exclusivement les ultra-riches
décembre 4, 2025Eli Mizrahi
CEO
Targa 5 Advisors
Pendant des décennies, la gestion de fortune suisse a bâti sa réputation sur la discrétion, la stabilité et le service rendu à une élite mondiale. Ce modèle a fait de la place financière helvétique une référence internationale. Pourtant, à l’aube de 2025, il montre ses limites. Le monde change, les fortunes se diversifient et une évidence s’impose: la croissance de demain ne viendra pas uniquement des ultra-riches, mais aussi de cette vaste zone intermédiaire de clients à haut potentiel que le secteur ignore encore trop souvent.
Selon une étude d’Oxford Economics, plus de 60% de la population mondiale appartiendra à la classe moyenne d’ici à 2030, dont l’essentiel dans les marchés émergents. Ces nouveaux foyers d’épargne et d’investissement constituent un réservoir d’opportunités inexploré. Le Forum économique mondial souligne d’ailleurs que «la classe moyenne est devenue la condition dominante dans le monde», grâce à l’éducation, à la connectivité et à l’accès croissant à la propriété et à l’entrepreneuriat. Cette dynamique mondiale fait émerger des générations d’investisseurs indépendants, souvent issus de la technologie, des services ou de l’économie réelle, qui recherchent une approche de conseil stratégique, mais accessible.
Des seuils d’entrée élevés
Or, la Suisse reste encore trop centrée sur une définition classique du client privé. Les seuils d’entrée élevés, la segmentation rigide et la promesse d’un service réservéà une élite créent une barrière artificielle. Dans un environnement où la digitalisation abaisse les coûts et où la transparence devient une exigence, cette logique n’est plus tenable. La véritable question n’est plus de savoir combien un client possède, mais ce qu’il veut accomplir avec son patrimoine.
Une multitude de solutions existe désormais pour servir ces profils de manière efficiente. Les ETF permettent de construire des portefeuilles diversifiés à faibles coûts. Les néobanques et plateformes hybrides offrent des services de gestion pilotée ou semi-automatisée accessibles dès quelques milliers de francs. Les conseillers indépendants peuvent, eux, proposer un accompagnement stratégique tout en s’appuyant sur ces outils digitaux pour optimiser la performance et réduire les frais. L’intelligence artificielle et les interfaces client améliorées rendent possible une expérience personnalisée sans multiplier les coûts fixes. Ces innovations ouvrent désormais la voie à un modèle plus inclusif, dans lequel la qualité du conseil ne dépend plus du volume des avoirs.
Une gestion de fortune plus inclusive
C’est précisément dans cette transformation que de nouveaux acteurs plus agiles, digitalisés, émergent et tracent une nouvelle voie. Des sociétés qui incarnent une gestion de fortune plus inclusive, fondée sur la proximité, la compréhension des parcours de vie et la capacité à offrir un service de qualité institutionnelle à des entrepreneurs, des cadres et des familles. C’est là toute une catégorie patrimoniale qui n’entre pas dans la case traditionnelle des ultra-riches. Ces clients ont pourtant des besoins complexes: planification successorale, diversification internationale, structuration d’entreprise, investissements privés ou durables. Ils exigent la même rigueur et la même écoute que les plus grands, mais dans un cadre plus agile, plus humain et moins protocolaire.
Cette philosophie répond aussi à une évolution sociétale profonde. Les nouvelles générations de détenteurs d’actifs recherchent des partenaires de confiance plutôt que des institutions monumentales. Elles veulent comprendre, participer, et voir leur patrimoine aligné sur leurs valeurs et leurs projets personnels. En s’ouvrant à ces profils, la gestion de fortune suisse peut non seulement élargir sa base de clients, mais aussi renforcer sa pertinence dans un monde où la richesse se construit différemment.
L’enjeu dépasse le simple potentiel commercial. Il s’agit de redonner à la place financière un rôle moteur dans la transmission, la formation et l’accompagnement de la prospérité à long terme. Si la Suisse veut rester à la pointe, elle doit devenir la référence mondiale d’un conseil patrimonial à la fois expert et accessible, aussi capable d’accompagner le créateur de start-up que l’industriel établi.
L’industrie financière de demain ne devra pas être celle qui gère le plus d’actifs, mais celle qui saura comprendre et servir le plus grand nombre de parcours de vie. Le moment est venu pour la gestion de fortune suisse de renouer avec son esprit d’innovation et de faire de l’inclusivité non pas un slogan, mais une stratégie de croissance renouvelée.
«La Suisse reste encore trop centrée sur une définition classique du client privé.»


