Le retour des rendements sur l’obligataire

Le retour des rendements sur l’obligataire

mars 28, 2023 Non Par Invité(e)s

Alain Krief
Responsable de la gestion obligataire
Edmond de Rothschild Asset Management

L’année 2022 s’est achevée sur une spectaculaire remontée des taux d’intérêt opérée tout au long de l’année. Il en a résulté de fortes performances négatives sur toutes les classes d’actifs obligataires, risquées ou non. Mais nous voilà dans un environnement tout autre. Les rendements affichés sur les actifs obligataires sont positifs et même significativement positifs sur l’obligataire crédit. Alors, que faire? Où se positionner pour profiter (enfin) de ces rendements? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, il nous faut rappeler le contexte actuel: comment en sommes-nous arrivés là et quels sont les principaux moteurs de chacune des sous-classes d’actifs obligataires?

La forte inflation, du jamais vu depuis plus de quarante ans et qui s’est matérialisée après la pandémie, a poussé les banques centrales à durcir les conditions monétaires, à remonter rapidement et fortement les taux pour freiner la demande et ainsi faire baisser progressivement cette inflation si nocive pour l’économie à ces niveaux, entre 6% et 12% pour les pays développés quand la cible est à 2%! Ce qui a eu aussi pour effet d’augmenter la volatilité, d’engendrer un ralentissement économique et de faire craindre une récession notamment aux États-Unis et en Europe, et donc d’entraîner les primes de risque crédit (les spreads) à la hausse également.

Une récession simplement technique

De nombreux scénarios sur la suite de ce combat contre l’inflation naissent et pour donner des perspectives sur les marchés de crédit, il nous faut poser certaines hypothèses. des hypothèses sur la baisse progressive ou non des chiffres d’inflation aux États-Unis et en Europe, même si la nature de cette inflation n’est pas identique de part et d’autre de l’Atlantique; ensuite, des hypothèses sur les niveaux des taux terminaux et la chronologie pour les atteindre; et enfin, des hypothèses sur la récession à venir, sa nature – systémique ou non –, son calendrier et son amplitude.

Prenons un des scénarios centraux qui a pour point de départ la baisse de l’inflation. Même progressive, elle devrait engendrer un ralentissement de la remontée des taux, voire des taux terminaux atteints en mars 2023, c’est-à-dire très vite et un mouvement déjà «pricé» par les marchés. Les conséquences immédiates seront alors une baisse de la volatilité et une possible baisse des taux longs. La récession attendue par les marchés, provoquée et voulue par les banques centrales, pourrait être simplement technique et bien entendu non systémique grâce à la séquence bien orchestrée par ces dernières.

Dans ce contexte, comment réagissent les marchés de crédit? D’un point de vue fondamental, malgré la baisse de la volatilité qui fait diminuer toutes les primes de risque crédit, la récession — même technique — et le niveau des taux d’emprunt (taux sans risque + prime de risque crédit) vont nécessairement engendrer une augmentation des taux de défaut et en particulier pour les entreprises ayant une faible qualité de crédit; on parle ici de notations B- et CCC. Il faut donc d’ores et déjà privilégier la qualité de crédit, soit l’investment grade en premier lieu puis le high yield de bonne qualité comme les notations BB.

Cette récession non systémique devrait aussi générer de fortes disparités sectorielles. Tous les secteurs ne sont pas impactés avec la même ampleur par l’inflation et au-delà de leur qualité de crédit, certaines entreprises souffriront plus que d’autres. il faut donc privilégier les secteurs des finances (banques et assurances), des télécommunications, de l’infrastructure ou de la santé par exemple. Et être très sélectifs sur les secteurs de l’immobilier ou du retail (distribution, consommation discrétionnaire). En plus de ces deux axes, la qualité de crédit et l’approche sectorielle, il faut aussi prendre en compte les caractéristiques techniques des classes d’actifs pour tirer profit de rendements élevés.

La dette émergente a déjà beaucoup souffert

Les marchés de la dette émergente ont beaucoup souffert de la remontée des taux américains mais surtout de l’effet secondaire de celle-ci: la force du dollar. Avec la fin annoncée de la remontée des taux, le dollar semble surévalué et avec une approche similaire sur les entreprises émergentes, qualité de crédit et secteur, et en ajoutant une bonne analyse du risque pays, les rendements offerts nous semblent particulièrement attractifs.

Dans ce contexte, il ne faut pas oublier le marché des convertibles. Cette classe d’actifs a retrouvé aujourd’hui le moteur «crédit» et avec sa caractéristique défensive par rapport au marché actions (sensibilité actions de l’ordre de 40%), l’approche qualité-secteur s’applique aussi parfaitement. Elle pourrait délivrer de belles performances si la récession est moins forte qu’anticipé. Concernant les structures financières, la santé des établissements bancaires et surtout des champions nationaux ne fait pas de doute, ce qui rend les émissions seniors intéressantes. Étant donné que le marché a commencé à «dépricer» les calls des émissions subordonnées craignant un emballement de la récession, les rendements de 7% et plus de ces instruments nous semblent encore plus attractifs. il en est de même pour cette niche que l’on appelle «les hybrides corporate» (subordonnées non financières). Ces émissions subordonnées perpétuelles, émises principalement par des entreprises notées investment grade, ont elles aussi «dépricé» les calls prévus (c’est-à-dire que le marché ne considère plus que l’émetteur va rappeler sa dette à la prochaine date prévue) et offrent des rendements de l’ordre de 7% et plus. La plupart des sociétés ont bien plus à perdre en ne rappelant pas ces émissions qu’en repoussant les échéances (leur notation investment grade notamment).

Les rendements sur les marchés obligataires crédits sont bien de retour, et ce, pour un bon moment. L’année 2023 s’annonce être l’année de l’obligataire avec un grand O (Oh!!). Il a fallu être patient et prudent, il faut être aujourd’hui investi et sélectif.