Pascal Kiener, CEO de la BCV

Pascal Kiener, CEO de la BCV

juin 5, 2024 Non Par Edouard Bolleter

«La BCV est une banque universelle à ancrage régional»

Le Groupe BCV a présenté des résultats record au terme de l’exercice 2023. Portés par la remontée des taux d’intérêt, les revenus ont augmenté de 12%, à 1,16 milliard de francs. Après une année très spéciale avec la fusion entre les deux géants UBS et Credit Suisse, cette performance confirme l’excellente santé affichée par les banques cantonales en Suisse. «Point de Mire» a interviewé Pascal Kiener, CEO de la BCV, à ce sujet. Un entretien qui a également porté sur de nombreux autres thèmes dont les tendances bancaires helvétiques, de la digitalisation aux nouvelles tendances des marchés par exemple. Les enseignements apportés par le dirigeant de la deuxième banque cantonale suisse après la ZKB sont nombreux et éclairants.

Par Edouard Bolleter

PdM: Monsieur Kiener, vous présidez la direction de la BCV depuis 2008. Les résultats 2023 montrent que les banques cantonales sont en pleine forme. Comment cela s’explique-t-il? Et qu’est-ce qui particularise les résultats de la BCV?

Pascal Kiener: Toutes les banques, et les établissements cantonaux en particulier, ont bénéficié de l’environnement de taux favorable durant l’exercice 2023. Mais, plus stratégiquement, le succès des banques cantonales repose sur leurs stratégies de proximité, leur solidité et leurs produits et services qui correspondent aux besoins de la clientèle. En ce qui concerne la BCV, les résultats 2023 sont exceptionnels. Le bénéfice opérationnel de 541 millions, en hausse de 21%, est un record depuis sa création en 1845. Le bénéfice net de 469 millions est aussi un record, si l’on fait abstraction des exercices 2006 et 2007, influencés par des éléments extraordinaires liés à la recapitalisation de 2003. Mais la réussite de la BCV s’inscrit dans le long terme, comme en témoigne la performance de l’action. Sur dix ans, son rendement total, c’est-à-dire l’évolution du cours et les dividendes versés, se monte à plus de 200%. En comparaison, le SPI est à +85% et l’indice bancaire est négatif à 7%.

Quelle est la stratégie de la BCV?

La BCV est une «banque universelle à ancrage régional». Deuxième banque cantonale, la BCV est celle dont les revenus sont les plus diversifiés. En plus des trois métiers historiques dans le canton, la banque de détail, la gestion de fortune domestique et la banque des PME, la BCV est active dans une dizaine d’autres métiers qui présentent des synergies avec ses métiers de base ou en raison d’un savoir-faire spécifique, comme pour le Trade Finance, très important sur l’Arc lémanique. En tant que banque cantonale, la majorité de nos activités et de nos revenus sont liés au canton et au développement de son économie. Dès lors, la croissance ne peut être que modérée. Un aspect important de notre stratégie est de viser une stabilité des résultats financiers et une création durable de valeur pour nos actionnaires.

Vous parlez d’une «croissance modérée» dans le cadre de la stratégie de la BCV, pouvez-vous donner un ordre de grandeur?

Elle est de l’ordre de 3 à 4% en moyenne par année. C’est un peu plus élevé que la croissance du canton, grâce à la diversification de nos activités et à celles hors du canton, comme l’Asset Management, les produits structurés ou les affaires avec les grandes entreprises et institutionnels en Suisse alémanique. Nous avons défini une stratégie financière en totale cohérence avec la stratégie d’affaires qui vise une croissance raisonnable. La BCV a choisi de positionner son action comme un titre de rendement. Cela est très cohérent avec le marché mature sur lequel la BCV opère et aligné avec les attentes des actionnaires. La banque ne conserve que la part des bénéfices dont elle a besoin pour financer sa croissance et reverse le reste – 80 à 90% – aux actionnaires. Ceux-ci peuvent compter sur des distributions élevées, stables ou en légère hausse sur la durée. Cela profite aussi bien à notre actionnaire majoritaire, le Canton de Vaud, qui détient 67% du capital, qu’aux actionnaires minoritaires. Ces derniers sont très importants, car ce sont eux qui négocient l’action et qui déterminent sa valeur en bourse. Il ne faut pas oublier que la BCV est la 3 e capitalisation bancaire suisse après UBS et Julius Baer.

Quelle est la politique de distribution de la banque concernant ses bénéfices?

Pour 2023, la BCV a versé un dividende ordinaire en hausse de 50 centimes, à 4,30 francs par action. C’est conforme à sa politique de distribution, reconduite l’an dernier et adaptée cette année avec un objectif relevé: pour les exercices 2023 à 2027, nous visons un dividende compris entre 4,30 francs et 4,70 francs par action. Il y a 10 ans, cette fourchette allait de 3,20 francs à 3,70 francs.

En plus de la BCV, le groupe comprend aussi trois filiales dont Piguet Galland. Pourquoi cette stratégie à deux marques pour des services de gestion de fortune?

Piguet Galland est une excellente banque privée; International Banker vient du reste de l’élire meilleure banque privée suisse pour la 3éme année consécutive. Cette filiale nous permet aussi de nous adresser à une autre clientèle, des personnes qui préfèrent les établissements spécialisés. Nous avons la conviction de mieux travailler le marché avec deux marques.

Comment la BCV aborde-t-elle la digitalisation?

Il faut distinguer la digitalisation des processus internes de celle pour les interactions avec la clientèle. Dans le monde bancaire, l’automatisation de processus internes a débuté à la fin des années 1960. La digitalisation des interactions avec la clientèle s’est accélérée depuis une quinzaine d’années, notamment afin de permettre à nos clients de réaliser leurs opérations bancaires eux-mêmes, en toute autonomie. Nous avons toujours considéré que cette digitalisation était une forte évolution dans le monde bancaire, mais pas une révolution comme cela a été le cas dans d’autres branches. Nous avons une approche de «smart quick follower». «Follower» car il ne serait pas raisonnable de prétendre être des pionniers, face à tous nos concurrents qui sont actifs à l’échelle nationale. Mais «quick» car nous sommes organisés pour intégrer rapidement de nouvelles fonctionnalités et «smart» parce que nous cherchons systématiquement à identifier et mettre en œuvre uniquement les évolutions qui répondent effectivement aux besoins de la clientèle, et à écarter celles qui nous semblent moins utiles. Les résultats sont là: notre application mobile et notre offre pour les PME se classent parmi les meilleures en Suisse, selon leur note dans les stores ou des études de cabinets spécialisés. Au final, nous sommes convaincus que les outils digitaux ne remplaceront pas les interactions humaines et, à la BCV, nous visons une complémentarité entre l’humain et les outils digitaux.

«La réussite de la BCv s’inscrit dans le long terme, comme en témoigne la performance de l’action.»

Avec le développement de l’IA et des robo-advisors, la gestion «classique» a-t-elle un avenir?

Oui, mais elle va évoluer. Le conseil humain est clé dans de nombreux domaines, par exemple lorsqu’il faut tenir compte d’aspects complexes tels que les éléments patrimoniaux, successoraux ou fiscaux. Par contre, pour certaines opérations ou des produits simples, le client peut être autonome avec une solution digitale.

Quelle est votre politique ISR?

Nous sommes – comme beaucoup – convaincus de la nécessité de contribuer à lutter contre le réchauffement climatique, mais notre politique ISR ne se limite bien sûr pas au climat. En matière de placements, comme dans d’autres domaines, nous récoltons les préférences de la clientèle et proposons une gamme de produits correspondants. La BCV adhère aussi aux grandes initiatives dans le domaine des placements responsables. Notre approche se base sur des exclusions, l’intégration de critères ESG, le filtrage positif et la sélection des sociétés avec une meilleure performance ESG, l’actionnariat actif et l’investissement thématique. Sans oublier notre partenariat important avec Ethos, c’est-à dire six fonds qui sont intégrés à notre gamme.

Quelle est l’approche de la prévoyance par la BCV?

La BCV est active dans le domaine de la prévoyance pour trois types de clientèle. Pour les particuliers, nous proposons des conseils patrimoniaux, des produits de prévoyance, et des fonds. Pour les caisses de pension, notre département asset management est à même de proposer des solutions sur mesure; dans le canton trois sur quatre sont clientes de notre banque. De plus, notre département prévoyance professionnelle gère la partie administrative de 18 caisses indépendantes, ce qui représente environ 21 000 assurés. Et enfin, la BCV a créé en 1978 une fondation collective, Avena, qui s’adresse aux PME. Elle gère la prévoyance d’un millier d’entreprises, pour un total de 17 000 assurés. La fondation est juridiquement indépendante et la BCV s’occupe de l’administration et de l’asset management. C’est une diversification supplémentaire.

Et quelles sont les relations avec les autres banques cantonales? Quelle est l’influence de la BCV dans ce panel?

Il faut d’abord souligner qu’il s’agit de 24 banques avec des profils quelque peu différents. Certaines sont cotées, d’autres non, certaines payent des impôts, d’autres non. Des banques cantonales peuvent être détenues à 100% par leur canton, ou seulement majoritairement. Enfin, elles diffèrent par leur taille. La ZKB et la BCV sont les plus grandes, avec des activités de banque universelle. La BCV joue de manière naturelle le rôle de leader romand dans certains grands projets nationaux, comme Twint, l’open banking ou le projet pilote de monnaie numérique de banque centrale.

Comment voyez-vous le marché immobilier après la hausse des taux?

Il faut distinguer le marché de la propriété individuelle de celui de l’immobilier de rendement. Dans la propriété individuelle, le marché a freiné au premier semestre 2023. Les gens ont été surpris par la vitesse de la remontée des taux, ce qui a entraîné une baisse du nombre de transactions et un ralentissement de la hausse des prix. Au second semestre, les taux longs ont de nouveau quelque peu baissé et la dynamique s’est améliorée. Dans l’immobilier de rendement, la réaction a été plus rapide. Les prix ont globalement fléchi, notamment en raison de la baisse des rendements immobiliers et du retour de plus d’opportunités de placements pour les institutionnels. Pour 2024, les fondamentaux restent bons. Les taux hypothécaires sont relativement bas en comparaison historique; la population augmente d’environ 1% chaque année depuis dix ans, en lien notamment avec l’immigration, alors que l’on construit un peu moins qu’avant. La demande est là, mais l’offre peine à suivre.

Quelles sont les relations avec l’Etat de Vaud? Ont-elles évolué avec le nouveau gouvernement?

Les relations sont excellentes. Le choc vécu par la BCV en 2002-2003 a entre autres permis de définir une gouvernance claire. Dans le cadre de sa mission définie dans la loi cantonale sur la BCV, la banque agit en toute indépendance. Cela fonctionne très bien et la confiance mutuelle est présente.

Parlons de place financière suisse. Comment voyez-vous ces prochaines années? La consolidation va-t-elle se poursuivre?

La consolidation du private banking est probablement derrière nous, même si quelques rapprochements sont encore possibles. La surprise est venue de la disparition d’une des deux grandes banques restantes. Quant aux banques cantonales, elles sont intimement liées à une logique cantonale. De plus, elles sont toutes en pleine forme. Dès lors, je ne vois pas de logique de rapprochement, ce qui n’exclut pas des coopérations dans certains domaines.

AUTRES INFORMATIONS

Progression de 21% du résultat opérationnel à 541 millions de francs

Pour les résultats 2023 de la BCV, les charges d’exploitation s’établissent à 541 millions de francs (+5%). Les charges de personnel sont en hausse de 3%, à 364 millions. Sous l’effet notamment de l’inflation ainsi que de hausses des coûts informatiques et d’informations financières, les autres charges d’exploitation augmentent de 8%, à 177 millions de francs. Le résultat opérationnel progresse ainsi de 21%, à 541 millions. La charge fiscale se monte à 74 millions. Le bénéfice net est en hausse de 21%, à 469 millions. Le ROE s’établit à 12,5% et figure parmi les plus élevés des établissements bancaires comparables. Enfin, dans un marché immobilier en léger ralentissement, notamment au premier semestre 2023, le volume d’affaires hypothécaires s’accroît de 1,4 milliard (+4%), à 31,8 milliards de francs. Les autres crédits sont stables, à 6,1 milliards (-1%). D’un côté, les crédits aux PME et aux entreprises augmentent; de l’autre, les remboursements de crédits Covid-19 se poursuivent et les volumes d’affaires dans le Trade Finance sont en repli.

ESG et dividendes

Le travail de fond de la BCV en faveur d’un développement économique respectueux des enjeux de la durabilité se reflète dans ses notations extra-financières. La notation ESG attribuée à la banque par MSCI a été relevée en 2022 à AA, soit la deuxième meilleure notation de cette agence. La BCV est ainsi dans la catégorie «Leader». Ethos accorde pour sa part à la BCV la note A, la deuxième meilleure note sur son échelle, et le CDP note la banque B (score climat), la troisième meilleure note sur une échelle qui en compte huit. Bonne nouvelle ensuite, le Canton de Vaud s’est vu verser 248 millions de dividendes, qui s’ajoutent aux 34 millions d’impôts cantonaux et communaux relatifs à l’exercice 2023; il reçoit ainsi 282 millions, soit CHF 35 millions de plus que l’année précédente.


Pascal Kiener en bref
CEO de la BCV depuis le 1er mai 2008, Pascal Kiener bénéficie d’un Master of Science en ingénierie
mécanique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ainsi que d’un MBA à l’Insead de
Fontainebleau. Dès 1993, il a travaillé au sein du cabinet de conseil McKinsey & Company, où il a été
élu partenaire et membre du comité de direction de McKinsey Suisse dès l’an 2000. Il a rejoint
la BCV le 1er juin 2003 en tant que CFO et est nommé CEO le 1er mai 2008.