Camille Vial: « Pour beaucoup, le terme durabilité est devenu un concept à la mode, alors qu’il est au cœur de notre ADN, depuis plus de 200 ans. »

Camille Vial: « Pour beaucoup, le terme durabilité est devenu un concept à la mode, alors qu’il est au cœur de notre ADN, depuis plus de 200 ans. »

mai 11, 2021 Non Par Daniel Stanislaus Martel

Alors qu’à la tête des principales institutions européennes des femmes s’imposent par leur charisme et leur efficacité, une genevoise se démarque dans la cité de Calvin. Représentante de la 7e génération d’Associés chez Mirabaud et première femme à présider une banque privée, Camille Vial nous livre les secrets d’une institution qui a su miser sur son sens de la responsabilité et de la pérennité bien avant que ces concepts deviennent tendance – des valeurs fondamentales qui la guident, elle-même, au quotidien et ont fait leurs preuves en ces temps de crise sanitaire.

La vision du Groupe Mirabaud dans le contexte conjoncturel actuel

Propos recueillis en exclusivité pour Point de Mire par Daniel Stanislaus Martel

Point de Mire : D’abord une question d’ordre général : En quoi la crise actuelle a-t-elle modifié les attentes et attitudes des clientes et clients du Groupe Mirabaud ?

Camille Vial : Tout comme la population en général, notre clientèle a dû s’adapter à une situation qu’aucun d’entre nous ne pensait rencontrer de son vivant. Au-delà de ce que représentent la catastrophe sanitaire, la perte de proches et l’insécurité générale, nous avons dû renoncer aux contacts sociaux ainsi qu’aux déplacements. Ces deux aspects étaient ancrés dans nos sociétés, tant sur le plan privé que professionnel. Tous ces bouleversements depuis plus d’une année représentent un risque de perte de confiance des clients pour les établissements financiers.
En ce qui nous concerne, notre fidèle clientèle a grandement apprécié notre réactivité face à la crise: notre modèle nous a permis de nous réorganiser en un temps record et de mettre rapidement en place de nouvelles formes de communication pour assurer la continuité de nos services, avec des moyens plus virtuels. En temps normal, un tel changement aurait probablement pris une génération. Mais avec cette crise, les attentes et attitudes de nos clients ont évolué en quelques mois par la force des choses. Ils ont réalisé que nous pouvions tout aussi bien les accompagner, préserver leurs intérêts et répondre à l’ensemble de leurs besoins à distance, par écrans interposés. Notre sens de la responsabilité, notre réactivité, notre esprit d’équipe et notre visibilité en ligne les ont rassurés, nous avons reçu de nombreux feedbacks extrêmement positifs.

PdM : On parle désormais du monde post-Covid, quelles sont d’après vous les trois tendances dominantes qui s’annoncent ?

CV : La digitalisation des relations entre une banque et ses clients va rester très présente même pour les banques privées qui, comme la nôtre, mettent l’accent sur la personnalisation du service et des relations privilégiées avec leurs clients. L’idée ici n’est pas de remplacer le banquier privé, au contraire, c’est de lui donner tous les outils numériques nécessaires pour remplir sa mission dans de meilleures conditions.
Les habitudes de travail vont également évoluer, une fois que les restrictions de présence dues au Covid seront tombées. Nous avons pris les devants et sommes fiers de proposer plus de flexibilité à celles et ceux qui le souhaitent : un jour de télétravail par semaine et le flex time, en plus du temps partiel déjà en place.
Les risques sanitaires et écologiques vont certainement nous influencer bien d’avantage dans notre manière de consommer et d’investir. Cette pandémie joue d’ailleurs déjà un rôle de révélateur des consciences et des habitudes. Je pense aussi que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la traçabilité, les circuits courts, la relocalisation des chaînes d’approvisionnement ou encore les investissements dans le secteur de la santé seront autant de thèmes pour les années à venir.
Notre Groupe a su relever de nombreux défis au cours de ses plus de 200 ans d’existence, et en ressortir toujours plus solide. L’un de nos secrets est justement notre faculté d’anticipation et d’adaptation aux constantes évolutions de notre société.

PdM : D’importants changements d’ordre réglementaire suisses et européens vont influencer le secteur de la finance dans les années à venir. Comment entendez-vous positionner le Groupe Mirabaud ?

CV : Il est vrai que depuis la crise de 2008, le secteur financier a connu un tsunami réglementaire. Depuis plus de douze ans, Mirabaud a eu l’occasion de considérer ces évolutions profondes et constantes comme une composante naturelle de ses activités, au même titre que l’adaptation des services et produits aux attentes des clients.
Sa présence dans trois lignes de métier et dans douze juridictions différentes a donné au Groupe Mirabaud une exposition à une large variété de réglementations et de régulateurs, permettant souvent d’anticiper les évolutions à venir en raison de la nécessité de s’adapter au « first mover ».
Dans ce cadre, la dernière évolution majeure au niveau du wealth management a consisté dans le renforcement de la protection de l’investisseur, mesure qui est partie de l’Union Européenne, (MifID 2) (Markets in Financial Instruments Directive), avant de parvenir en Suisse (LSFin/Loi fédérale sur les services financiers) et qui a conduit Mirabaud à adapter ses processus depuis près de cinq ans.
La prochaine évolution significative fait d’ores et déjà l’objet de toute notre attention et de multiples projets dans l’ensemble de nos lignes de métier, à savoir l’adaptation aux règles en matière d’ESG / investissement durable / sustainablity dont les régulateurs se sont également saisis.

PdM : Comment voyez-vous l’avenir de la place financière genevoise et suisse à plus long terme et comment anticipez-vous le rôle du Groupe Mirabaud ?

CV : Le grand désastre financier que toutes les cassandres internationales prévoyaient pour Genève n’a pas eu lieu avec l’échange automatique d’information. Bien au contraire, les actifs progressent et même si un grand nombre de petits clients a quitté la Suisse, le portefeuille moyen de ceux qui sont restés est significativement plus élevé qu’auparavant. La qualité de service et les compétences sont là : la Suisse en général (et Genève en particulier) continue d’avoir un avantage indéniable au niveau mondial dans la gestion de patrimoine. Mirabaud poursuit sa stratégie de croissance raisonnée, pérenne, basée sur le long terme avec un positionnement de type family office en Suisse mais aussi dans certains marchés internationaux où nous sommes convaincus que nos compétences sont en adéquation avec les besoins d’une clientèle locale. Alors que la plupart raisonnent en trimestres, chez Mirabaud, nous concevons l’avenir en termes de générations – notre orientation long terme fait clairement partie de notre ADN. En tant qu’employeur, il serait présomptueux de dire que nous faisons tout juste. Néanmoins, l’étude Statista publiée par Le Temps et la Handelszeitung en mars dernier nous a révélés meilleur employeur suisse dans notre catégorie. On peut donc légitimement en déduire que nos collaboratrices et collaborateurs sont fiers et heureux de travailler pour notre Maison.

Genève, le 7 octobre 2019. Plaine de Plainpalais.
Sculpture « Not Vital » offerte par le Groupe Mirabaud à la ville de Genève à l’occasion de son bicentenaire. ©Frank Mentha

Le rôle du Groupe Mirabaud dans la prévoyance professionnelle et privée en termes de gestion institutionnelle

PdM : Le domaine de la gestion institutionnelle gagne toujours plus d’importance. En Suisse, le financement de nos futures prestations de retraite est basé sur la capitalisation. Actuellement, le contexte conjoncturel reste préoccupant. Quelle réponse apportez-vous dans ce contexte aux investisseurs institutionnels qui craignent de voir fléchir l’apport du “tiers cotisant” au niveau la prévoyance professionnelle et de l’asset management des 1000 milliards du 2e pilier ?

CV : Effectivement l’environnement économique et les taux d’intérêts aussi bas voire négatifs pèsent sur les performances des caisses de pensions. Les résultats ont finalement été positifs en 2020 pour un grand nombre de fondations, mais le rendement sur le capital des caisses de pensions a tendance à baisser depuis 2007/2008.
Dans ce contexte, et alors que la responsabilité individuelle prend une importance grandissante, une des réponses apportées par le groupe Mirabaud en 2015 a été d’ouvrir sa fondation de prévoyance 1e à ses clients – la FCDE, qui avait été créée en 2004 pour ses employés.
Ces plans 1e complètent efficacement la gestion collective de la caisse de base LPP enveloppante en offrant notamment aux assurés le libre choix de leur stratégie de placement sur la part sur-obligatoire de leur capital épargne. Ainsi, avec un maximum de 10 stratégies proposées, chaque assuré peut adapter le placement de ses avoirs en fonction de ses besoins et objectifs personnels, et de sa tolérance aux risques. La performance des placements est entièrement attribuée à l’assuré, qui en supporte toutefois le risque.

PdM : La crise sanitaire a notamment eu pour effet dans le 2e pilier d’accroître les flux financiers des caisses de pensions provoqués ces dernières années d’une part avec des sorties d’épargnes LPP en libre passage et d’autre part avec le développement de la prévoyance cadre “1e”. Le Groupe Mirabaud a su anticiper l’avènement de la prévoyance privée notamment en étant à la base de la création de la plateforme de prévoyance lemania-pension hub au côté de la banque Gonet. Pensez-vous que notre système des 3 piliers va continuer ces prochaines années à polariser vers la prévoyance étatique obligatoire (1er pilier & 2e pilier obligatoire) et la prévoyance privée (2e pilier hors obligatoire 1e, libre passage & 3a) ?

CV : Ces flux financiers sont le résultat d’une part de changements sociétaux importants, tels que l’augmentation de la mobilité professionnelle, des changements d’employeurs plus fréquents, du travail à temps partiel ou encore du nombre de divorces, et d’autre part d’une détérioration du marché de l’emploi. Ces changements ont un impact ; en particulier sur les femmes et les jeunes actifs, dont les carrières ne correspondent pas toujours à la réalité et à l’état d’esprit en vigueur lors de la création de la LPP.
S’il est vrai que notre système de prévoyance est largement envié, il n’est plus optimal : il ne reflète plus les conséquences de changements structurels importants et a besoin d’évoluer. D’autre part, le système de répartition a été mis à mal par l’évolution démographique, et les travailleurs à temps partiel sont mal protégés. Le « tiers cotisant » atteint de plus en plus difficilement les performances espérées. Enfin, les taux de conversion ne pourront pas baisser en-dessous d’un certain niveau sans remettre en cause tout le système.
Ainsi la prévoyance sur-obligatoire et la prévoyance privée prennent de plus en plus d’importance alors que les rentes LPP devraient continuer à baisser. Mais que ce soit dans le cadre de la prévoyance sur-obligatoire 1e ou dans la prévoyance privée, et notamment dans celle du libre passage, la responsabilité des placements est transférée aux assurés qui se retrouvent parfois bien seuls. Il est donc de la responsabilité individuelle de chacun de prendre les commandes de sa prévoyance le plus tôt possible et de chercher, si besoin, le conseil adéquat. Dans ce contexte, la plateforme Lemania est devenue un point d’entrée de référence en Suisse romande et propose des conseils et solutions tant pour la prévoyance professionnelle que la privée.

Associée Gérante de Mirabaud SCA depuis 2012, Camille Vial est présidente du Comité Exécutif de Mirabaud & Cie SA depuis 2019.
Diplômée d’un Master en mathématiques de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Camille Vial rejoint en 2001 la banque privée genevoise dont elle représente la 7e génération de la famille fondatrice. Elle y occupera différentes fonctions dans des domaines aussi différents que les ressources humaines, la stratégie d’investissement, ou encore la relation avec la clientèle, avant de prendre la responsabilité de la gestion de portefeuille en 2009. Cette expérience diversifiée, qui la conduira du siège genevois de Mirabaud à la filiale londonienne Mirabaud Securities, Camille Vial la complètera chez Lloyd George Management et Tim Tacchi International comme analyste.
Passionnée par un univers qu’elle connaît depuis son enfance, Camille Vial promeut une finance innovante, performante et durable. Camille Vial est également membre du comité directeur de la Fédération des entreprises romandes et du comité stratégie et surveillance de l’association Sustainable Finance Geneva.
En 2020, elle devient présidente de l’Association patronale de la Corporation de Banques Privées Genevoises et rejoint le Conseil de l’Institut supérieur de formation bancaire (ISFB)