Vers une abolition de la taxation de la valeur locative

Vers une abolition de la taxation de la valeur locative

novembre 16, 2021 0 Par Invité(e)s

Yves Cogne
Responsable fiscal Mirabaud & Cie SA

Lors de la session parlementaire du 21 septembre dernier, le Conseil des états a approuvé à une courte majorité (20 contre 17) l’abolition de la valeur locative. De quoi s’agit-il exactement, et où en est-on ?

L’imposition de la valeur locative a été introduite en Suisse en 1940, avec l’impôt pour la défense nationale (IDN, devenu impôt fédéral direct – IFD – en 1982). Il s’agissait d’appréhender le revenu que le propriétaire pourrait encaisser s’il mettait son bien immobilier en location, plutôt que de s’en réserver la jouissance (une sorte de location à soi-même).

Dans son article sur l’imposition de la valeur locative 1 ,l’Administration fédérale des contributions (AFC) résume ainsi la doctrine fiscale suisse, fondée, selon elle, « sur le principe selon lequel on ne doit prendre en considération la valeur de jouissance que de certains éléments du patrimoine. Il s’agit des biens générale- ment considérés comme indispensables, dont l’obtention, l’utilisation ou la jouissance constituent une dépense obligatoire pour tout individu qui ne les possède pas (loyer de son logement, par ex.), et qui représentent par analogie une économie substantielle pour les personnes qui en sont déjà propriétaires ou usufruitières (car seul le rendement net provenant de l’immeuble est imposé). Et il est hors de doute que le fait « d’avoir un toit » entre dans cette dernière catégorie. »

Depuis de nombreuses années, plusieurs tentatives de supprimer l’imposition de la valeur locative ont échoué, soit au Parlement, soit dans les urnes. Plusieurs raisons plaident pour une disparition de cette imposition. Au-delà du fait de payer un impôt sur un revenu non encaissé, cette contribution n’incite pas à acquérir un logement. De plus, la valeur locative encourage l’endettement, puisque les intérêts sont déductibles.

Les différentes mesures d’accompagnement proposées (mais qui n’ont pas empêché ces projets d’échouer) tournent toutes autour de la déductibilité (ou pas) des intérêts et des frais d’entretien (suppression, réduction ou limitation dans le temps de la déductibilité des intérêts ; suppression ou réduction de la déductibilité des frais d’entretien).

Selon le projet de la Commission du Conseil des états, cette nouvelle proposition n’échappe pas à cette règle.
Parallèlement à la suppression de l’imposition de la valeur locative, la Commission du Conseil des états propose notamment 2 de conserver le principe de l’imposition de la valeur locative pour les résidences secondaires et de supprimer la déductibilité des frais d’entretien de la résidence principale (y compris les investissements destinés à économiser l’énergie), à l’exception des travaux de restauration des monuments historiques. La proposition comprend également la limitation de la déductibilité des intérêts passifs aux primo-accédants, plafonnée à CHF 10’000 par année pour un couple (CHF 5’000 pour une personne seule), réduit de 10 % par année (plus de déduction après dix ans).

Ces dispositions s’appliqueraient tant au plan fédéral (LIFD) qu’au plan cantonal (LHID, les cantons devant adapter leur droit).

Genève, le 7 octobre 2019. Plaine de Plainpalais. Sculpture « Not Vital ». ©Frank Mentha

Bien entendu, le Conseil national devra également se prononcer et il est probable que le texte définitif (si toutefois le projet aboutit) sera encore différent.
Cependant, cette proposition suscite quelques remarques. Tout d’abord, l’imposition de la valeur locative était justifiée par l’AFC par le fait que le logement est «considéré comme indispensable» (cf. ci-dessus). Dans la mesure où une résidence secondaire n’est pas indispensable, l’AFC devra trouver d’autres justifications pour l’imposition de la valeur locative des résidences secondaires.

De plus, la déductibilité des frais d’entretien d’un bien immobilier n’a pas pour seul corollaire la réalisation d’un revenu, mais également la préservation de la valeur du bien immobilier qui, rappelons-le, est par assujetti à l’impôt sur la fortune.

Par ailleurs, la suppression de la déductibilité des investissements destinés à économiser l’énergie ne semble d’ailleurs pas être en ligne avec nos engagements visant à réduire nos émissions de CO2.

En outre, la distinction qui est faite entre résidence principale et secondaire est difficile à justifier, en particulier pour ceux qui sont locataires de leur résidence principale et propriétaires de leur résidence secondaire (double peine) ou ceux qui, à l’inverse, sont propriétaires de leur résidence principale et locataires de leur résidence secondaire (double avantage).
De plus, la forte réduction de la déductibilité des intérêts passifs (réservée aux primo-accédants) va sans doute inciter quelques propriétaires à rembourser leur hypothèque. On peut cependant raisonnablement imaginer que, à Genève par exemple, où le moins cher des appartements de quatre pièces (deux chambres, 71 m2) est proposé à CHF 1’030’000 3, le recours à une hypo- thèque lors de l’achat n’est pas motivé uniquement par des considérations fiscales, et que la suppression de la déduction des intérêts passifs ne suffira pas pour conduire le propriétaire à rembourser son hypothèque de CHF 800’000 sur dix ans.

Enfin, si (ou quand) les taux d’intérêt remontent, certains propriétaires seront sans doute tentés de rembourser leur hypothèque par un prélèvement de leur avoir de prévoyance. Est-ce vraiment le but recherché par le législateur ?

Il est clair que les modifications envisagées n’ont pas pour seule conséquence de supprimer l’imposition d’un revenu non encaissé. Toutefois, comme rappelé ci-dessus, le Conseil national doit encore se prononcer et ce projet est encore susceptible d’être modifié. Ce ne sera pas la première fois !

Affaire à suivre…

Notes

1 Informations fiscales – L’imposition de la valeur locative – état au 1er janvier 2015.

2 Allianz Risk Barometer Glob17.400 – Conseil des états (CER-E) – Session d’automne 2021.

3 https://www.homegate.ch/acheter/biens- immobiliers/lieu-geneve/liste-annonces?ac=4&ad=4& o=resultingSearchablePrice-asc

Yves Cogne
Responsable fiscal Mirabaud & Cie SA

Yves Cogne est expert-comptable diplômé et Vice-président de la Commission fiscale de l’Association suisse des banquiers (ASB) en tant que représentant de l’Association des banques privées suisses.

Il est membre de la Commission fiscale de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG).