Global Trends

Global Trends

novembre 18, 2021 Non Par Invité(e)s

Marie Owens Thomsen, PhD
Head of Global Trends & Sustainability Lombard Odier

Changeons de regard

De plus en plus d’entreprises et de gouvernements annoncent régulièrement des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et diverses initiatives climatiques. Bien que louables, ces efforts sont souvent étroitement liés à leurs propres activités. Cette tendance à aborder le défi climatique à travers le prisme d’une seule entreprise ou industrie peut en partie expliquer pourquoi les émissions de CO2 continuent de croître, même si cette croissance a ralenti au cours des dernières années. En réalité,le réchauffement climatique est un choc systémique qui touche la Terre dans son intégralité. Pour y répondre, il est nécessaire d’adopter une approche collective qui reconnaît que les industries existantes évoluent dans des systèmes complexes et interconnectés.
Afin d’accélérer les progrès vers des émissions nettes nulles et de relever les défis climatiques les plus difficiles, il est important d’instaurer une collaboration et une coordination extraordinaires entre les systèmes émergents.

Un choc systémique n’est donc ni disciplinaire, ni interdisciplinaire, ni multidisciplinaire, mais bien transdisciplinaire. La pensée systémique est holistique. Le tout ne peut être compris qu’en le regardant sous tous les angles simultanément. Les activités agricoles, par exemple, contribuent à la pollution de l’air et influencent les modèles climatiques régionaux, tandis que la production agricole et la qualité des cultures sont sensibles à la qualité de l’air et aux conditions climatiques.

Un potentiel levier d’actions intersystèmes serait par exemple le marché des crédits carbone. Les fournisseurs de crédits carbone, allant de projets de reboisement et de solutions dans l’agriculture à la capture de CO2 directe de l’air et plus encore, devraient collaborer avec des acheteurs couvrant des secteurs de l’énergie, la mobilité, l’industrie et, au-delà, qui cherchent à compenser leurs émissions les plus ancrées.

Les crédits carbone figurent parmi les nombreuses opportunités potentiellement transformatrices. Celles-ci ne sont réalisables qu’avec les efforts combinés de multiples systèmes. Il est réjouissant de constater que ce marché a connu une hausse de près de 60 % en valeur et 30 % en volume les huit premiers mois de cette année et pourrait dépasser 1 milliard de dollars à la fin de 2021. Le développement de ce marché sera aidé par l’annonce récente de sa gouvernance. Le groupe de travail œuvrant en faveur du développement à échelle des crédits carbone volontaires sera dirigé par 22 représentants au sein d’un conseil d’administration. L’organe aura une portée mondiale, avec plus de 12 pays représentés, dont près de la moitié viennent des pays du Sud. Un secrétariat exécutif, un groupe d’experts et un groupe de consultation des membres de plus de 250 organisations alimenteront l’organisme en soutenant la création d’une norme mondiale. La première priorité de l’organisme est de finaliser la création des Core Carbon Principles (CCP) qui agissent comme un ensemble de normes de seuil afin d’établir une référence mondiale pour la qualité du crédit carbone. Des CCP seront lancés tout au long de 2022 pour la norme de l’offre de crédits carbone. Les projets conformes aux CCP devront démontrer des impacts clairs et mesurables en termes de réduction des émissions de carbone et d’intégrité environnementale et sociale totale. Si notre regard est trop souvent limité par nos œillères, il l’est autant par une certaine myopie.

Taille du marché des crédits carbone volontaires, en volume traité (avant 2005 – 31 août 2021)
Source : Globenewswire.com – Forest Trends Ecosystem Marketplace 2021

Les marchés financiers évoluent entre autres en fonction des publications des résultats trimestriels des sociétés.
L’histoire de l’évolution du climat s’écrit, quant à elle, à travers les siècles. Un des défis dans la transition vers une économie plus durable et inclusive est de réconcilier les horizons temporels. Mark Carney, conseiller auprès de Boris Johnson pour la COP26 et envoyé spécial des Nations Unies pour le financement de l’action climatique, a souvent souligné ce problème, parlant de la « tragédie de l’horizon ». Une personne qui se promène en regardant son téléphone portable sait que si elle ne lève pas les yeux, elle risque une collision. Même phénomène pour l’évolution du climat, lorsque nous nous rendons compte du danger, il est souvent trop tard et l’accident peut être inévitable.

Une recherche publiée dans le journal Global Change Biology en septembre 2021 relève que, bien que cinquante années se soient écoulées depuis les premières estimations concernant l’évolution du climat, la date ultime pour la plupart des modèles climatiques n’a pas été mise au-delà de 2100.
Les chercheurs ont pourtant modélisé le changement climatique à l’horizon de 2500 sur une série de scénarios d’émissions de CO2 et ont quantifié les projections associées à la viabilité des cultures et du stress thermique.
Ensemble, les projections montrent que les impacts climatiques mondiaux augmentent considérablement après 2100 sans atténuation rapide des émissions des gaz à effet de serre.

Le réchauffement climatique produira, selon l’étude, une diminution des régions potentiellement cultivables, les poussant vers les pôles de la Terre. En outre, les denrées cultivables se raréfient. Le blé, les pommes de terre et la cassave (racine du manioc) figureraient parmi les plus grands perdants en termes de surface de terre appropriée à leur culture à l’horizon de 2500. Seules les productions de soja et de maïs ont prévu de perdurer, voire de s’étendre dans les climats adaptés à leur exploitation.

L’évolution de la population mondiale est également un facteur à prendre en compte. Selon les estimations actuelles, la population se chiffrerait entre 7 et 16 milliards de personnes d’ici à 2100. Si le haut de cette fourchette se réalisait, la question de la sécurité alimentaire deviendrait critique. Sans une prise de conscience des impacts probables sur le long terme (au-delà de 2100), les actions actuellement engagées ne prévoyant pas de solution au-delà de 2100 laisseraient l’avenir durable sans réponse.
De ce fait, notre regard doit prendre plus de hauteur et notre champ visuel doit s’élargir. Ce faisant, notre compréhension sera améliorée et nos reflexes deviendront davantage inclusifs. Il est important de noter que cela ne diminue en rien la valeur des actions individuelles. Au contraire, la bonne nouvelle est que dans cette configuration, nos actions sont amplifiées de telle manière que « le tout est plus que la somme de ses parties », comme le disait Aristote.

Marie Owens Thomsen, PhD
Head of Global Trends & Sustainability Lombard Odier
Marie Owens Thomsen a rejoint Lombard Odier en 2020, en charge de la recherche liée à l’investissement durable pour la banque privée. Ses expériences antérieures incluent Indosuez à Genève ainsi que Merrill Lynch à Paris et HSBC à Londres.
Marie a également travaillé en dehors du secteur financier. Elle a lancé et géré sa propre société dans le monde du cheval, et travaillé chez IKEA à Aubonne.
Marie a obtenu son doctorat en économie internationale de l’IHEID à Genève et son MBA de l’Université de Göteborg en Suède.