Gouvernance au sein des Gérants de Fortune Indépendants

Gouvernance au sein
des Gérants de Fortune Indépendants

novembre 18, 2021 0 Par Invité(e)s

Alexandre de Boccard
Fondateur de l’étude OA LEGAL
Avocate inscrite aux barreaux de Genève et New York

« La gouvernance d’entreprise désigne l’ensemble des principes et des réglementations permettant de gérer, de contrôler et de surveiller les structures et le comportement des hauts dirigeants. »1
La transition au niveau de la gouvernance d’entreprise au sein des gestionnaires de fortune indépendants (GFI) s’est accélérée avec la prochaine échéance du délai transitoire pour la mise en œuvre des règles de conduite en vertu de la loi fédérale du 15 juin 2018 sur les services financiers (LSFin) et de son ordonnance d’application (OSFin). Pour rappel, d’un point de vue des règles de conduite (LSFin), les prestataires de services financiers (y compris les GFI) doivent remplir les obligations d’informer, de vérifier, de documenter et de rendre compte, les obligations de transparence ainsi que de classification des clients au plus tard le 1er janvier 2022. Ces exigences de la LSFin impliquent des adaptations organisationnelles, qui doivent être implémentées d’ici au 1er janvier 2022. Par ailleurs, les exigences organisationnelles prévues par la loi fédérale du 15 juin 2018 sur les établissements financiers (LEFin), son ordonnance et l’ordonnance de la FINMA sur les établissements financiers devront avoir été implémentées avant le dépôt d’une demande d’autorisa- tion auprès de la FINMA, laquelle devra intervenir avant le 31 décembre 2022.

Pour de nombreux GFI, les exigences de gouvernance en vertu de la nouvelle réglementation constituent un changement de paradigme. L’entrée en vigueur effective des règles de conduite avec effet au 1er janvier 2022 est une première étape importante. La préparation d’une demande d’assujettissement auprès d’un organisme de surveillance puis le dépôt d’une requête en autorisation en tant que GFI auprès de la FINMA constituent une deuxième étape cruciale. Comme la FINMA l’a relevé, seul un nombre limité de GFI a déjà déposé une telle demande à ce jour. La présente contribution vise à apporter des réponses à certaines questions pratiques sélectionnées en matière de gouvernance en vertu de la nouvelle réglementation.

Règles de conduite LSFin

Un GFI doit notamment édicter des directives internes adaptées à sa taille, à sa complexité et à sa forme juridique, ainsi qu’aux services financiers proposés et aux risques qu’ils présentent. Ces directives doivent couvrir et décrire les règles de conduite LSFin, à savoir notamment (i) le processus d’investissement (et l’existence d’un éventuel comité d’investissement et son fonctionnement), (ii) la gestion des risques, (iii) les aspects compliance (notamment la vérification des règles de conduite en vertu de la LSFin, telles que le test « suitability »), (iv) les vérifications en vertu de la loi sur le blanchiment d’argent du 10 octobre 1997 (LBA), (v) les processus mis en place pour identifier les éventuels abus de marché et réduire ce risque (y compris au niveau des éventuelles transactions pour compte propre par les employés), (vi) le proces- sus suivi en cas d’activité transfrontière (cross-border), notamment les pays ciblés et la documentation cross-border utilisée concernant ces pays, (vi) les méthodes utilisées pour gérer les conflits d’intérêts et les mesures spécifiques concrètes qui sont prises, (vii) le traitement et la sécurité des données ainsi que (viii) le business continuity plan.

Organisation interne LSFin/ LEFin

Compliance et/ou Risk Officer
Les GFI doivent concevoir leur organisation de manière à garantir le respect des dispositions réglementaires,
par exemple en prévoyant une fonction de « compliance » et de « risk » (ou une fonction combinée de « risk & compliance »).
Le compliance et/ou risk officer rapporte périodiquement à la direction et au conseil d’administration dans le cadre de rapports écrits détaillés couvrant les vérifications mentionnées dans les directives internes du GFI.
Au niveau du choix de risk et/ou compliance officer, formellement, il existe quelques allègements pour les « petites » sociétés ou celles qui présentent un risque faible.

En effet, la gestion des risques et le contrôle interne ne doivent pas obligatoi- rement être indépendants des activités génératrices de revenus si le GFI (i) est une entreprise comptant cinq postes au plus à plein temps ou réalisant un produit brut annuel inférieur à 2 millions de francs et (ii) s’il dispose d’un modèle d’affaires ne présentant pas de risques élevés. Cela étant, matériellement, cet allègement ne supprime pas l’exigence organisationnelle selon laquelle les GFI doivent s’assurer que leurs collaborateurs disposent des capacités, des connaissances et de l’expérience requises par leur activité.

Ainsi, à titre d’exemple, être responsable de la gestion des risques – tels que le risque de marché, le risque de liquidité, le risque de contrepartie, les risques opérationnels, les risques IT (y compris le risque lié aux cyberattaques) et le risque de réputation – requiert des connaissances et de l’expérience dans ce domaine. Dès lors, la tendance à l’externalisation constatée déjà il y a quelques années dans le domaine finan-cier devrait logiquement s’accélérer. Pour rappel, la réglementation autorise de telles délégations lorsque les délégataires disposent des connaissances et de l’expé- rience requises.

Conseil d’administration et direction
Au niveau du Conseil d’administration, la FINMA peut demander aux GFI de mettre en place un conseil d’administra- tion dont la majorité des membres est non opérationnelle : (a) s’il compte au moins dix postes à plein temps ou réalise un produit brut annuel de plus de 5 millions de francs et (b) si le genre et l’étendue de l’activité le requièrent. Indépendamment de cette possibilité,un conseil d’administration disposant de compétences variées et de personnes
« neutres » est recommandé en termes de bonne gouvernance.

La direction d’un gestionnaire de fortune ou d’un trustee doit être composée au moins de deux personnes qualifiées, c’est-à-dire disposant d’une expérience professionnelle dans la gestion de fortune de minimum cinq ans et d’une formation d’au moins quarante heures dans ce domaine, sous réserve d’une éventuelle dérogation de la FINMA au cas par cas. La direction peut être composée d’une seule personne qualifiée lorsque la preuve est apportée que la poursuite de l’exploitation est garantie (par exemple par la reprise des activités en cas d’absence prolongée de la direction par un autre GFI ou une banque, sur la base d’un contrat de coopération et d’un business continuity plan).

L’éventuelle nouvelle composition du Conseil d’administration et/ou de la direction doit être déterminée avant le dépôt de la demande d’affiliation auprès de l’organisme de surveillance. En matière de pouvoir de representation envers des tiers, les personnes autorisées à signer doivent obligatoirement signer à deux. Les GFI doivent pouvoir être représentés au minimum par une personne domiciliée en Suisse.

Audit
En sus des changements organisationnels au niveau du GFI, avec notamment la présence d’un compliance et risk officer, un audit prudentiel interviendra afin de contrôler le respect des réglementations applicables.

Conclusion

La nouvelle réglementation LEFin/LSFin vise à « améliorer la protection des clients sur le marché financier suisse, tout en renforçant la compétitivité de la place financière suisse »2. Un autre objectif consiste à instaurer en matière de fourni- ture de services financiers des conditions comparables pour tous les acteurs du marché (notamment les banques, les maisons de titres et les GFI) ainsi qu’une surveillance cohérente et appropriée dans la gestion de fortune. Cette transition obligatoire a un coût, mais elle est également une occasion pour les GFI de structurer et formaliser (i) le modèle de gestion (et de rémunération) et (ii) le conseil aux clients, et par la même occasion de réduire les risques notamment juridiques et réputationnels liés à leurs activités.

1 https://www.kmu.admin.ch/kmu/fr/home/savoir-pratique/creation-pme/creation-entreprise/choisir-une-forme-juridique/societe-anonyme/mot-cle-gouvernance-entreprise.html, site consulté le 14 octobre 2021.
2 Message du Conseil fédéral du 4 novembre 2015 sur la LSFin et LEFin, FF 2015 8101, 8102

Alexandre de Boccard
Alexandre de Boccard, fondateur de l’étude OA LEGAL, est avocat inscrit aux barreaux de Genève et de New York spécialisé en droit financier. Il conseille des banques, établissements financiers, notamment des gestionnaires de fortune collective (Asset Managers) et des GFI, des émetteurs d’instruments financiers, des fondations de prévoyance professionnelle, des FinTech (y compris des plateformes de crowdfunding), notamment dans le domaine du droit financier et du droit contractuel