Finances fédérales: quel scénario pour sortir des chiffres rouges?
mars 26, 2024Pierre-Gabriel Bieri
Responsable politique
Centre patronal
Les comptes de la Confédération risquent de connaître d’importants déficits structurels au cours des prochaines années. Faut-il sacrifier les budgets militaires, qui commencent à peine à remonter la pente après avoir été négligés pendant trente ans? Ou faut-il envisager des hausses d’impôts décriées tant à droite qu’à gauche? En prenant un peu de recul par rapport à l’évolution des dépenses fédérales, on se persuade rapidement que d’autres solutions existent.
Déficits chroniques en vue
Le 22 novembre 2023, le Conseil fédéral a publié le plan financier de la Confédération pour les années 2025 à 2027, avec des projections jusqu’en 2032. Si l’équilibre budgétaire est menacé à court terme par les coûts de l’asile et de la santé, il le sera encore davantage à moyen terme par les dépenses en faveur de l’AVS dont on parle assez peu – et par celles consacrées à l’Armée, qui suscitent énormément de discussions et de contestations. Du côté de l’AVS, la cause réside dans l’évolution démographique et dans l’absence d’une réforme de fond – il faudra pourtant bien en parler un jour!
En ce qui concerne l’Armée, le gouvernement se voit lié par la décision du Parlement d’augmenter le budget militaire pour qu’il atteigne 1% du produit intérieur brut (PIB) en 2030. La conseillère fédérale Viola Amherd a d’ores et déjà insisté pour que cet objectif soit reporté à 2035; mais la croissance du PIB fait aussi augmenter mathématiquement le montant à atteindre: on estime ainsi que le budget militaire annuel, actuellement de 5,5 milliards de francs, devrait croître jusqu’à 10,5 milliards en 2035. L’Administration fédérale des finances (AFF) s’attend à ce que les comptes de la Confédération présentent des déficits structurels grimpant à 3 milliards en 2027 et presque à 4 milliards en 2032.
Non-conformité aux règles du frein à l’endettement
Le Conseil fédéral fait remarquer que cette évolution, avec des dépenses qui augmentent plus rapidement que les recettes, n’est pas conforme aux règles du frein à l’endettement. Il s’agira donc de mener des efforts d’assainissement en réduisant les dépenses, mais aussi, selon le communiqué officiel, d’«envisager des mesures sur le plan des recettes». En d’autres termes: des hausses d’impôts ou de taxes. Dans les conditions actuelles, la menace d’une hausse d’impôts n’apparaît pas très crédible, car elle déplaît non seulement à la droite, mais aussi – ô surprise! – à la gauche, qui songe pour une fois à épargner les contribuables lorsqu’il est question de dépenses militaires. Il n’en reste pas moins qu’il faudra trouver le moyen de rééquilibrer le budget fédéral.
Préserver le frein à l’endettement
À droite, certaines voix posent la question de savoir si l’augmentation du budget de l’Armée ne devrait pas être comptabilisée dans les dépenses extraordinaires, afin d’échapper au frein à l’endettement. C’est une mauvaise idée. Le mécanisme fédéral de frein à l’endettement a fêté en 2023 ses vingt ans d’existence; c’est grâce à lui que la Confédération a réussi à redresser sa situation financière après les dérives des années 1990, puis à équilibrer durablement ses comptes et à rembourser une partie substantielle de sa dette. Le frein à l’endettement est un mécanisme précieux, en particulier pour aborder les périodes difficiles, et ce n’est pas le moment de le vider de sa substance.
«Entre 1990 et aujourd’hui, les dépenses de la confédération ont connu une progression de 167%, alors que le PIB augmentait de 111% et la population de 25%.»
Faut-il alors admettre que les budgets promis à l’Armée vont finalement être raccourcis sous la pression de la nécessaire austérité financière? Après tout, les émotions brutalement réveillées par la guerre en février 2022 semblent aujourd’hui s’émousser. Les dépenses militaires, qui ont chuté ces trente dernières années de 15,7% à 6,5% des dépenses fédérales et de 1,34% à 0,68% du PIB, amorcent désormais un mouvement inverse et une remontée en puissance: c’est là l’essentiel et une progression légèrement moins forte que prévu n’aurait sans doute pas de conséquence catastrophique.
Les autres dépenses fédérales n’ont connu aucun frein
Mais avant d’en arriver là, il est impératif de réexaminer d’abord toutes les autres dépenses de la Confédération, qui n’ont jamais connu de frein au cours des trois dernières décennies. Entre 1990 et aujourd’hui, alors que les budgets militaires dégringolaient, les dépenses de la Confédération ont plus que doublé, passant d’environ 30 milliards de francs à plus de 80 milliards. Cela représente une progression de 167%, alors que, dans le même temps, le PIB augmentait de 111% et la population de 25%. Cette évolution a été possible parce que les recettes de l’État fédéral ont, elles aussi, augmenté dans une même proportion vertigineuse, réussissant globalement à couvrir les dépenses jusqu’à la crise du covid. Les projections publiées récemment par le Conseil fédéral envisagent la poursuite de cette fuite en avant: à l’horizon 2032, les recettes pourraient atteindre 99,5 milliards et les dépenses 103,4 milliards.
Après une telle croissance, on croira difficilement à l’impossibilité de réaliser des économies. Il ne s’agit pas d’affamer les employés de l’administration fédérale (même si diverses études révèlent que les salaires y sont nettement plus élevés que dans le secteur privé), mais, plus fondamentalement, de constater que la Confédération a développé un appétit de réglementation boulimique dans de trop nombreux domaines. dans ces conditions, une augmentation de l’impôt n’entre pas en ligne de compte.