Obligations de diligences étendues pour les acteurs des trusts selon l’avant-projet de LTPM/LBA

Obligations de diligences étendues pour les acteurs des trusts selon l’avant-projet de LTPM/LBA

mars 21, 2024 Non Par Invité(e)s

Par Me Henri Corboz
Avocat
PBM Avocats

Un avant-projet de loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (AP-LTPM) est en consultation depuis août 2023. Le département fédéral des finances explique qu’une modification de la législation est indispensable pour lutter contre le risque de blanchiment lié aux trusts. Outre l’introduction des 52 articles de l’AP-LTPM, cet avant-projet inclut des modifications de 38 dispositions de la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA). On peut ainsi parler d’avant-projets tant de LTPM que de LBA. À la lecture du rapport explicatif, la forme juridique du trust et l’activité de trustee sont dans le viseur. Les enjeux ne paraissent pas aussi évidents.

L’activité professionnelle de trustee en Suisse suppose une autorisation de la Finma depuis 2020. Les trustees préexistants ont bénéficié d’un délai transitoire expiré fin 2022. Les dirigeants, les administrateurs et les actionnaires de référence des corporate trustees doivent présenter la garantie d’une activité irréprochable. La structure est passée au crible par la Finma lors de la procédure d’autorisation. Pour ce qui est de la LBA de 1997, les trustees en Suisse y sont assujettis, comme tout intermédiaire financier, dès lors qu’ils ont un pouvoir de disposition sur un compte. Une fois autorisés, ils sont surveillés par des organismes dédiés et soumis à des audits. Quelle serait alors la portée de cet avant-projet pour les trustees en Suisse?

Obligation d’identification

L’AP-LTPM oblige le trustee à identifier les ayants droit économiques avec diligence et à vérifier leur identité. D’aucuns relèveront que cette diligence est déjà prévue par la LBA. L’objectif est d’astreindre également les trustees non professionnels aux obligations d’identification. La LBA n’est pas applicable aux trustees non professionnels car elle fixe des seuils qui ont été abaissés le 2 février (Com Finma de 01/2024). Le critère de professionnalisme prévu dans la LBA ne se retrouve pas dans l’AP-LTPM. Aux termes du rapport, les trustees non professionnels qui n’ont pas de pouvoir de disposition sur un compte, ni ne travaillent avec un assujetti LBA, doivent néanmoins veiller à détenir les informations pour identifier les ayants droit économiques.

Il reste à définir l’ayant droit économique. L’AP-LTPM précise à cet égard qu’il s’agira du settlor, du trustee, du protector ou encore de toute autre «personne physique exerçant un contrôle en dernier lieu sur le trust». Si l’une des fonctions est exercée par une entité, il faudra identifier les personnes physiques de contrôle. Ces exigences sont reprises de la recommandation 25 du GAFI. Cet organisme réclame que ces informations soient accessibles aux autorités compétentes en présence de «constructions juridiques». Le rapport du DFF évoque toutefois une nécessité de réduire l’identification des bénéficiaires aux critères qui permettent d’établir cette qualité.

Un reporting fiscal complet

L’échange automatique d’informations astreint les trustees à un reporting fiscal complet. Le plus souvent, le trust est «documenté par le trustee», de sorte que toutes les obligations de déclaration lui incombent. La directive EAi de l’AFC parle de gestion professionnelle lorsque la fortune est gérée discrétionnairement par une «institution financière». Selon l’AFC, un trust est géré professionnellement lorsqu’il est lui-même géré par un corporate trustee. Un trust est également réputé géré professionnellement lorsque les trustees ont «confié à une banque un mandat discrétionnaire de gestion de fortune». La banque dépositaire ne procède au reporting fiscal en l’absence d’engagement spécifique que lorsque le trust est considéré comme une entité non financière, ne répondant pas à l’exigence de gestion professionnelle. Le trust sera alors vu comme une entité non financière dite «passive».

«A la lecture du rapport explicatif, la forme juridique du trust et l’activité de trustee sont dans le viseur.»

Si le trust est géré professionnellement, le reporting incombe au trustee. Le professionnalisme de la banque dépositaire chargée de la gestion du portefeuille n’implique toutefois pas nécessairement que le trustee soit un professionnel outillé pour remplir les obligations déclaratives. Cet écueil est le plus souvent résolu par la conformité des banques qui s’enquièrent de la réalité des reportings au niveau du trustee ou, à défaut, y procèdent. Une approche en risques réglementaires prévient ainsi l’incertitude des reportings, même si un monitoring n’est pas clairement exigé. d’aucun objecteront que reporting n’est pas conformité.

Le rapport déplore que l’avocat qui rédige l’acte fondateur d’un trust ne soit pas soumis à la LBA. L’avocat est pourtant tout sauf distrait du champ d’application de la LBA s’il intervient comme intermédiaire financier. L’avant-projet se réclame à cet égard du rapport d’évaluation du GAFi de 2016. Il s’agissait d’étendre le champ des normes anti-blanchiment aux activités non financières, avocats, notaires et fiduciaires, liées à la création de «constructions juridiques». L’avant-projet fait peu de cas de la norme pénale elle-même qui réprime déjà sévèrement le blanchiment. Cet avant-projet contribuera probablement à dissuader ou à exiler des acteurs confrontés à une forme juridique étrangère, le trust, pourtant reconnue en Suisse. Renforcera-t-il en cela la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme?

Me Henri Corboz

Avocat

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