Comprendre l’immobilier virtuel: mode d’emploi

Comprendre l’immobilier virtuel: mode d’emploi

septembre 5, 2022 Non Par Invité(e)s

Patrick Bourloud
Directeur régional
UBS Romandie

Katharina Hofer
Economiste auprès de la Recherche immobilière d’UBS

Ces derniers mois, les achats de biens immobiliers virtuels dans le métavers ont fortement progressé et, avec eux, les prix des biens fonciers digitaux. Les prix actuels des terrains de construction virtuels traduisent les prévisions d’une croissance durable. Pourtant, le métavers pourrait n’être qu’un engouement de courte durée qui finira par éroder les valeurs immobilières. En effet, contrairement aux immeubles réels, le niveau des prix n’est pas soutenu par des surfaces limitées. Si le métavers devait s’imposer dans le futur, les grands groupes auraient toutefois tout intérêt à y engager des investissements anticipés. Explications en cinq questions et réponses.

Qu’est-ce que le métavers ?

Le métavers est un univers virtuel en trois dimensions dans lequel les utilisateurs agissent sous la forme de personnages («avatars»). Ils peuvent y interagir et les opérations se déroulent en temps réel. Il s’agit peu ou prou d’une extension de l’Internet, auquel vient s’ajouter la dimension de la réalité virtuelle. Aujourd’hui, il existe une multitude de plateformes métavers. Les plus importantes sont actuellement «The Sandbox» et «Decentraland».

Comment acquérir de l’immobilier dans le métavers ?

Le territoire d’une plateforme métavers se divise en un nombre limité de parcelles. Le paiement s’effectue généralement dans une cryptomonnaie prédéfinie. à l’acquisition d’une telle parcelle, l’acheteur obtient un non fungible token (NFT), c’est-à-dire une valeur numérique unique et non divisible (cryptovaleur). L’acquéreur peut ensuite utiliser son bien foncier virtuel comme il l’entend. L’usage des parcelles est surtout commercial, par exemple sous forme de surfaces de vente ou de divertissement (concerts, films, expositions), de locaux de représentation pour une entreprise ou encore de bureaux pour des réunions d’équipe ou des événements d’entreprise. Chaque parcelle peut être revendue.

Les prix immobiliers du métavers se justifient-ils du point de vue économique ?

La formation des prix dans le métavers est, dans une certaine mesure, analogue à ce qui a cours dans le monde réel. Les prix immobiliers donnent une idée de la valeur des recettes futures. Ainsi, une étude de l’Université de Bâle montre qu’aux points d’entrée principaux du métavers, plus fréquentés par les utilisateurs, l’immobilier se négocie à des prix supérieurs à ceux des biens périphériques. De plus, dans le métavers, les bons emplacements apparaissent grâce à la constitution de clusters qui se renforcent d’eux-mêmes. Plus les utilisateurs sont nombreux à un endroit, plus le site est attractif. Cela attire une nouvelle offre, ce qui accroît, par contrecoup, la fréquence d’utilisation. La connaissance de coordonnées x et y spécifiques permet également d’accéder à un point précis dans le métavers. Les emplacements dont les coordonnées x et y sont identiques atteignent des prix en moyenne plus élevés, probablement parce qu’ils sont plus faciles à retenir.

Faut-il investir dans l’immobilier métavers ?

Les prix actuels de l’immobilier dans le métavers reflètent la forte hausse de la demande ces derniers mois ainsi que les pronostics de confirmation, voire d’accélération de la croissance virtuelle. Si la demande se maintient et que le métavers se déploie effectivement à une large échelle, les prix continueront d’augmenter. Pourtant, le succès du métavers suscite des incertitudes et le niveau des prix a amorcé un tournant très spéculatif. Il faut d’abord tenir compte du fait que la rentabilité y est doublement précaire compte tenu du mode de paiement, basé sur des cryptomonnaies volatiles. D’autre part, l’engouement pour le métavers pourrait vite se désamorcer, entraînant la dépréciation des biens immobiliers virtuels. Quelques plateformes virtuelles ont déjà été frappées par un tel destin et ont disparu dans la foulée.

«Pourtant, le métavers pourrait n’être qu’un engouement de courte durée qui finira par éroder les valeurs immobilières.»

L’immobilier métavers est-il durable ?

Même si cette technologie est amenée à s’imposer, toutes les plateformes actuelles ne survivront pas. Pire: le fait d’investir dans une plateforme durablement performante ne garantit pas le maintien de la valeur des biens virtuels. à la différence du monde réel, le manque de terrains constructibles est artificiel et requiert une forte confiance dans le fait que le fournisseur de la plateforme n’élèvera pas le nombre de parcelles. Pourtant, des réductions de parcelles sur les plateformes existantes ou l’apparition de nouvelles plateformes ont par exemple déjà démontré le contraire. Autre différence par rapport aux biens immobiliers physiques: les emplacements prisés du monde réel ne le deviennent qu’avec le temps, pour parvenir ainsi à une valeur durable. Par contre, dans le métavers, la possibilité de la téléportation – le saut d’un avatar d’un lieu à un autre – peut générer à tout moment de nouveaux clusters et reléguer, du jour au lendemain, des emplacements phares au second plan. Si les avatars et les bâtiments peuvent voler, alors l’immobilier devient mobilier… et le terrain perd toute valeur. Enfin, il ne faut pas sous-estimer le flou juridique qui règne autour de la «propriété» de biens immobiliers virtuels. Néanmoins, si l’on dispose d’une large surface financière, il peut valoir la peine d’investir dès maintenant dans le métavers. Dans l’idée de se prémunir contre le risque de rester à quai et de devoir, ultérieurement, engager des sommes bien plus considérables.