L’exode des riches norvégiens et les leçons à en tirer

L’exode des riches norvégiens et les leçons à en tirer

octobre 16, 2023 Non Par Invité(e)s

Pierre-Gabriel Bieri
Responsable politique
Centre Patronal

La presse en a récemment fait quelques gros titres: de riches norvégiens viennent actuellement s’établir en Suisse après avoir quitté leur pays en raison de la hausse des impôts. On parle d’un «exode de millionnaires» qui dure depuis plusieurs mois. Rien que pour ces contribuables les plus riches, la perte pour le fisc norvégien pourrait déjà atteindre l’équivalent de quelque 85 millions de francs. L’ensemble du phénomène est difficile à chiffrer car des contribuables moins fortunés partent aussi et la Suisse n’est pas la seule destination possible.

Certains de ces exilés fiscaux affirment économiser près de 90% d’impôts en venant chez nous. La norvège a «légèrement» augmenté son impôt sur les grosses fortunes, mais aussi et surtout l’imposition des actions, désormais taxées à 80% de leur valeur contre 55% auparavant; au titre de l’impôt sur le revenu, l’imposition des dividendes est passée de 31,7 à 37,8%. Les «riches» dont on parle ici sont donc souvent des entrepreneurs dont la fortune est principalement constituée par leur entreprise. Les fiscalistes expliquent que le coût fiscal de posséder une entreprise en Norvège a plus que doublé en deux ans. Certains entrepreneurs doivent emprunter ou vendre une partie de leurs actifs pour pouvoir payer leurs impôts.

Les autorités norvégiennes, nous dit-on, commencent à s’inquiéter de cette perte à la fois fiscale et économique. Mais le gouvernement ne semble pas vouloir faire marche arrière; il tente au contraire d’accentuer la pression sur les contribuables qui quittent le pays – ce qui ne fait qu’accélérer le phénomène. La Suisse profite de cette situation, tant mieux, mais il faut aussi en tirer des leçons, car la boulimie fiscale ne guette pas que les autres.

La mobilité des riches n’est pas un mythe

Voici un premier axe de réflexion: on a plusieurs fois constaté qu’un allègement de la fiscalité pouvait déboucher, dans les années qui suivent, sur un accroissement des recettes fiscales; il est cependant difficile d’établir avec certitude un lien de cause à effet entre les deux mouvements. Il sera dès lors intéressant d’observer l’évolution des recettes fiscales en Norvège: si elles diminuent durablement, cela renforcera la (forte) présomption d’une corrélation inversée entre le poids de l’impôt et son rendement.

Un deuxième axe de réflexion repose sur un constat objectif. On a l’habitude d’en appeler à une fiscalité modérée en arguant que la présence de contribuables aisés est profitable à toute la collectivité, et en mettant en garde contre le risque de les faire fuir. À chaque fois, des contradicteurs rétorquent qu’on peint le diable sur la muraille, que les riches résidents ont de multiples raisons de rester là où ils sont et que le risque de les voir partir est faible. Avec l’exemple norvégien, il est maintenant démontré qu’il existe bel et bien un «seuil de résistance» au-delà duquel ceux qui peuvent partir s’en vont. Ce seuil est impossible à déterminer précisément, ce qui doit inciter à d’autant plus de prudence.

Il est enfin intéressant d’observer – c’est un troisième axe de réflexion – que les gens qui partent s’établir sous des cieux fiscaux plus cléments ne sont pas seulement des retraités ou héritiers oisifs, mais aussi et surtout des personnes actives qui investissent – et qui, en l’occurrence, investissent en Suisse plutôt qu’en Norvège. Ce constat vient casser l’image caricaturale habituelle du riche contribuable assis sur un tas d’or dont il n’a pas besoin tandis que la collectivité est obligée de s’en priver.

En finir avec les réflexes basiques de jalousie

En matière de fiscalité, le citoyen moyen a tendance à raisonner selon un réflexe basique de jalousie: celui qui gagne davantage que moi n’a pas besoin d’être épargné par le fisc, et tout ce dont il n’a pas besoin pour vivre convenablement devrait revenir à la collectivité. On l’a encore vu dans le canton de Vaud, par exemple, où l’initiative populaire des associations économiques demandant une diminution de 12% de l’impôt cantonal – qui a formellement abouti avec un nombre record de signatures – s’est tout de même heurtée aux commentaires négatifs de certaines personnes qui jugeaient injuste qu’une diminution puisse être accordée à tous les contribuables. Il faudrait ainsi que les plus modestes (qui paient déjà peu) paient encore moins, et que les plus riches (qui paient déjà beaucoup) paient encore plus…

Une approche radicalement différente est nécessaire si on veut conserver des entrepreneurs capables de produire de la richesse, et donc de la substance imposable pour financer les tâches publiques – seule raison d’être de l’impôt. Il faut prendre acte de l’exemple norvégien, tenir compte de la volatilité des contribuables riches ainsi que de la structure de leur fortune (liquide ou investie), et offrir à ceux qui créent des entreprises un cadre fiscal clair, stable et prévisible, avantageux aussi, qui les accompagne de manière cohérente tout au long des différents cycles de vie d’une entreprise.