Plaidoirie en faveur de l’esprit critique
octobre 4, 2023Dr Jérôme Koechlin
Responsable Communication & Marketing
REYL Intesa Sanpaolo
Nous devons veiller à cultiver notre esprit critique, or il est chaque jour saisissant de constater son absence fréquente: une référence récurrente aux «petites phrases» ou aux punchlines dans le débat politique, une posture de victimisation lors du rachat de sa banque par un concurrent, un oubli de solliciter d’autres sources pertinentes pour la rédaction d’un article, une capacité à mentir des milliers de fois en toute impunité pour un président des Etats-Unis, une incapacité à écouter ses conseillers critiques pour un dirigeant isolé au Kremlin, une tendance à croire tout ce qui se répand sur les réseaux sociaux ou une propension à trouver normal que l’anonymat règne en maître sur tweeter ou instagram.
Qu’est devenu le legs de Platon, des Lumières, de Raymond Aron et de Jürgen Habermas? Même s’il est plus confortable de suivre la majorité silencieuse, il appartient au citoyen responsable de polir son esprit critique, ce, d’autant plus dans un monde de semi-vérités, de faux-fuyants, de propos complotistes, d’outrances verbales et d’excès médiatiques en tout genre. Voici un petit rappel des étapes pour pratiquer la grande vertu que représente l’esprit critique. Il importe, tout d’abord, de véritablement prendre le temps de s’informer et de vouloir comprendre avant de juger. Il s’agit, ensuite, d’évaluer l’information en allant aux sources pour comprendre comment une connaissance se construit. Puis, de bien séparer les informations factuelles, d’une part, des arguments et, d’autre part, des opinions. La quatrième étape consiste à prendre acte des débats entre les interprétations et de la nécessité du pluralisme des idées et des projets. Il est question, enfin, de distinguer les interprétations validées par l’expérience, les hypothèses et les opinions liées à des croyances.
Les biais cognitifs
Le manque d’esprit critique a pour origine des biais cognitifs que nous avons tous et, selon les scientifiques, correspondent à une déviation dans le traitement rationnel d’une information. Ils incitent ainsi une personne à accorder une importance différente à des faits de même nature, la conduisant à des erreurs de jugement ou de raisonnement. Voici quelques exemples de biais de jugement. Le biais d’ancrage nous conduit à être sous l’influence laissée par la première impression; le biais d’autocomplaisance consiste à penser que nous sommes à l’origine de nos réussites, mais pas de nos échecs; le biais de normalité revient à penser que tout va se passer comme d’habitude, en ignorant les signaux d’alerte; le biais égocentrique amène à s’auto-évaluer sous un meilleur jour qu’en réalité; enfin, l’effet dunning-Kruger est le biais par lequel les personnes moins compétentes dans un domaine ont tendance à surestimer leurs compétences, alors que les plus compétentes se sous-estiment.
Par ailleurs, voici quelques exemples de biais de raisonnement. Le biais de confirmation d’hypothèse consiste à préférer les informations qui confirment notre hypothèse plutôt que celles qui les infirment; le biais de disponibilité souligne le fait de valider les informations immédiatement disponibles sans prendre le temps de chercher d’autres sources; le biais de perception sélective engendre une interprétation des informations orientée en fonction de sa propre expérience et de son environnement culturel; enfin, le biais de coût irrécupérable consiste à considérer les frais déjà engagés dans une décision, par exemple en gestion de crise, sans se dire que le chemin pourrait être encore long.
L‘allégorie de la caverne
Dans sa fameuse allégorie de la caverne, Platon définit le premier lieu — la caverne — comme celui de l’enfermement, de l’ignorance et des apparences. C’est l’espace des biais cognitifs. Le deuxième lieu — le monde extérieur — est celui de la liberté, du savoir et du monde réel. Selon lui, le rôle du philosophe est de prendre le risque de partager la vérité à laquelle il a accédé. Il lui faut à la fois de la détermination, du courage et de l’humilité. Ainsi, selon Platon, l’individu peut connaître quatre états: l’imagination, la foi, la connaissance discursive et l’intelligence, cette dernière étant la plus élevée des opérations de l’âme.
L’esprit critique est le moteur d’une démocratie dynamique. Il existe ainsi un lien indéfectible entre l’esprit critique et un leadership éclairé. Un dirigeant devrait en effet toujours privilégier la compétence à la loyauté de ses proches collaborateurs, et accepter que ceux-ci usent assidûment de leur esprit critique. En faisant preuve d’esprit critique et, en étant conscient de ses propres biais cognitifs, un leader saura écouter l’intelligence collective rassemblée à ses côtés, mettre les sujets en perspective et favoriser la parole de l’expert et la discussion contradictoire.
Dr Jérôme Koechlin
Responsable Communication & Marketing
REYL Intesa Sanpaolo