De la gestion efficiente de portefeuilles de fonds de private equity
décembre 13, 2022Xavier Pintado
CFO Senior Advisor
BCGE
Nous savons que les fonds de private equity (PE) génèrent d’excellentes performances. Mais, peut-on en dire autant de notre façon de construire un portefeuille de fonds de PE?
Commençons par la période initiale d’assemblage d’un portefeuille de PE. Elle est par nature inefficiente en termes de création de richesse. La montée en exposition est longue, car il faut assurer un bon degré de diversification ; elle l’est aussi à cause des longs délais entre engagements et investissements. Pour l’investisseur, il est donc primordial d’atteindre rapidement un palier d’exposition où les flux d’investissement et de retour de capitaux sont à l’équilibre. Quelles sont les orientations de gestion qui amènent à cet état d’équilibre ? Les gérants institutionnels sont traditionnellement des experts en gestion d’actifs cotés. Leur paramètre de pilotage est l’exposition, mesurée par la valeur nette d’inventaire (VNI). Cette mesure est adéquate pour les actifs liquides. Elle ne peut malheureusement pas, à elle seule, mesurer l’exposition au PE. A qui la faute ? Aux fonds de PE qui exigent un engagement préalable de l’investisseur. Une adaptation est donc nécessaire, ce qui conduit à deux nouvelles mesures d’exposition.
Comment mesure-t-on l’exposition au PE ?
La première mesure est l’exposition-valeur (expo-val). Elle est définie comme la VNI des fonds de PE plus l’engagement résiduel. Ce dernier est le montant de l’engagement qui n’a pas encore été réclamé par les fonds. L’expo-val est donc supérieure au montant de la VNI. La raison est que l’investisseur est exposé, d’une part, à la baisse potentielle de la VNI et, d’autre part, à la réquisition par le fonds de PE du montant de l’engagement résiduel. La deuxième mesure d’exposition au PE est l’exposition-engagement (expo-eng). Elle est donnée par la somme des engagements initiaux à laquelle on soustrait la somme des montants non rappelables déjà rendus par les fonds à l’investisseur. Le raisonnement est, dans ce cas de figure, que l’engagement s’efface à mesure que les fonds retournent graduellement du cash. On parle ainsi d’engagement net.
Le gérant institutionnel dispose donc de trois mesures : la VNI qui s’applique uniquement aux actifs sans engagement ; l’expo-val, une version de la VNI modifiée qui tient compte des effets de l’engagement ; et enfin l’expo-eng, qui estime l’engagement net. Laquelle choisir ? examinons d’abord la façon dont les expositions évoluent pour un portefeuille de PE typique. Le graphique ci-dessous montre qu’au cours des trois premières années, expo-val et expo-eng se confondent parce qu’elles sont dominées par les engagements. C’est la période de montée en charge du portefeuille. Après la troisième année, les expositions divergent. L’expo-eng amorce un déclin qui s’accélère à mesure que le flux de capital remboursé se renforce. L’expo-val, en revanche, continue de monter, atteint un palier en 2016 et n’entame une descente douce qu’en 2018. Elle affiche donc une forme de rémanence.
Guidé par une valeur-cible ou par une limite d’exposition ?
Un point à considérer est que ni la VNI ni l’expo-val d’un portefeuille de PE ne sont sous le contrôle de l’investisseur. Il ne peut donc fixer une limite expo-val à ne pas dépasser, car l’absence de liquidité du PE ne lui permet pas de réduire l’exposition. Il peut, en revanche, indiquer une valeur cible à atteindre. Le graphique montre un objectif expo-val à CHF 50 mios (ligne pointillée). L’expo-val approche sa cible en 2014 et reste dans son voisinage jusqu’en 2018. Tant que l’expo-val reste proche de son niveau cible, il n’y a pas lieu de prendre de nouveaux engagements ; les investissements sont de facto à l’arrêt ! Pourtant les retours de capitaux continuent d’assécher le portefeuille de ses ressources en capital. Conséquence, un déséquilibre se creuse entre les flux d’engagement et de désengagement. La poursuite d’une valeur cible de VNI ou d’expo-val conduit à de longues périodes sans investissement. Il en résulte un portefeuille peu efficient en termes de génération de richesse.
Nous proposons une nouvelle approche de la gestion du portefeuille. Elle consiste à fixer une limite à l’expo-eng, représentée par la ligne jaune à CHF 40 mios. La démarche de gestion est de s’engager systématiquement dans de nouveaux investissements tant que l’expo-eng ne dépasse pas sa limite. Ainsi, l’investisseur attend que des capitaux soient rendus pour les réinvestir. La limite est donc aisée à respecter. L’approche revient à mettre à disposition du gérant de portefeuille de PE un working capital de CHF 40 mios. Ce montant est aussi le budget de risque de l’investisseur. Cette approche appliquée au portefeuille aurait permis de réinvestir CHF 60 millions jusqu’en juin 2022. Par contre, la poursuite de la valeur cible expo-val n’aurait vu que CHF 20 millions réinvestis (et moins de 15 millions pour une valeur cible de la VNI).
« Pour l’investisseur, il est donc primordial d’atteindre rapidement un palier d’exposition où les flux d’investissement et de retour de capitaux sont à l’équilibre. »
Dans un portefeuille de PE, la rotation agile du capital est primordiale. II ne doit pas y avoir de rupture dans l’alimentation de l’investissement. L’approche fait que l’environnement économique module naturellement le ravitaillement en capital. Lors d’une crise, les fonds de PE réduisent les flux de distribution. Il y aura donc moins à réinvestir. Inversement, lorsque l’économie est en plein essor, les distributions s’accélèrent et le rythme de réinvestissement augmente. L’approche proposée présente donc plusieurs avantages. D’abord, elle façonne un portefeuille qui est efficient en termes de génération de richesse. Ensuite, elle garantit le respect d’un budget de risque spécifié par l’investisseur. Enfin, elle s’adapte de manière flexible aux cycles économiques.
Xavier Pintado
CFO Senior Advisor
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