Forte augmentation des capitaux confiés aux fondations de libre passage

Forte augmentation des capitaux confiés aux fondations de libre passage

avril 16, 2021 Non Par Daniel Stanislaus Martel

L’épargne en libre passage, issue du processus d’épargne obligatoire constitué dans le régime de la prévoyance professionnelle, a besoin d’être capitalisée pour préserver un niveau de prestations convenable à la retraite. La polarisation de la prévoyance étatique (AVS et régime obligatoire de la LPP) et de la prévoyance privée va se renforcer dans le cadre de la crise sanitaire. Regards croisés de trois spécialistes reconnus en matière de fonds de pensions au sujet de cette tendance.

Avec l’augmentation des flux financiers dans la prévoyance professionnelle provoquée par les importantes sorties de capitaux des caisses de pensions vers des institutions de libre passage, les épargnants du 2e pilier peuvent très vite se retrouver, malgré leur volonté, dans des situations patrimoniales complexe à gérer dans l’urgence. Avec les conséquences de la crise sanitaire, de nombreux assurés actifs doivent quitter leur caisse de pensions. Ils risquent dès lors de se retrouver avec une épargne accumulée avant l’âge de la retraite sans possibilité de versement anticipé car n’ayant pas atteint l’âge réglementaire pour ce faire et sortir ainsi ces capitaux du circuit de la prévoyance professionnelle.

Dilemme pour les épargnants

Cette tendance est confirmée par Franca Renzi, Directrice de l’Ecole Supérieure de Prévoyance Professionnelle, (ESPP) et ancienne Directrice de l’Autorité cantonale de Surveillance des Fondations et des Institutions de Prévoyance à Genève (ASFIP) « de nombreuses petites entreprises ont été amenées à licencier des employés qui se retrouvent aujourd’hui au chômage avec leur capital de retraite accumulé » Pasquale Zarra, Directeur de PensExpert à Lausanne observe que «depuis un certain temps, il y a une demande accrue directement des assurés mais aussi des banques partenaires qui cherchent des solutions innovantes, du point de vue prévoyance, des investissements et de la fiscalité ».
Pour Alexandre Michellod, Président du Conseil de la plateforme de prévoyance lemania pension-hub et membre du Comité Exécutif de la Banque Gonet & Cie en tant que Head of Wealth & Investment Solutions « les besoins en solution libre passage dans la gestion patrimoniale sont effectivement en constante augmentation ». Pour ce spécialiste en fonds de pensions « c’est bien souvent la seule possibilité à laquelle peuvent souscrire les assurés qui quittent une caisse de pensions.» Le responsable du Département Wealth & Investment Solutions de la Banque Gonet souligne que « les bénéficiaires d’un compte de libre passage doivent également décider de leur politique de placement. Dans une telle situation, ces épargnants sont très souvent perdus car ils ne savent comment placer ces avoirs dont la responsabilité des placements revenait jusqu’ici en totalité à leur fondation de prévoyance, en fonction

Franca Renzi, Directrice de l’Ecole Supérieure de Prévoyance professionnelle (ESPP)

« de nombreuses petites entreprises ont été amenées à licencier des employés qui se retrouvent aujourd’hui au chômage avec leur capital de retraite accumulé »

de règles établies par la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP). En outre, ces épargnants ignorent bien souvent qu’en situation de libre-passage, ils ont perdu le bénéfice de leurs prestations de leur ancienne caisse de pensions (rente vieillesse, risque de décès ou d’invalidité ».
Pasquale Zarra arrive à la même analyse avec « la volonté de comprendre la situation personnelle de l’assuré, au niveau des besoins, de leurs souhaits et de leurs projets d’avenir ». Pour le Directeur du bureau de PensExpert à Lausanne,
« chaque situation est individuelle. Puis nous proposons une solution adaptée via nos fondations de libre passage PensFree et Independent».
Pour la Directrice de l’ESPP Franca Renzi « Dans le cadre de la prévoyance professionnelle, il n’y a pas 36 milles solutions, les personnes ayant perdu leur emploi avant l’âge de 58 ans peuvent soit transférer leur capital de retraite sur un compte ou une police de libre passage soit s’affilier auprès de l’Institution supplétive (IS) de manière facultative (le plan de prévoyance est très proche du minimum légal) » La Directrice de l’ESPP précise que « l’inscription à l’IS doit se faire au plus tard 3 mois après le départ de l’institution de prévoyance. » L’ancienne Directrice de l’ASFIP rappelle que « les personnes ayant perdu leur emploi à 58 ans ou plus ont 3 possibilités :
– choisir une mise à la retraite anticipée par leur institution de prévoyance pour autant qu’elles soient en âge de retraite anticipée en vertu du règlement de prévoyance applicable (souvent dès l’âge de 58 ans),
– transférer le capital de prévoyance sur un compte bloqué de libre passage auprès d’une Fondation bancaire de libre passage ou auprès d’une Compagnie d’assurance si elles s’inscrivent au chômage,- maintenir la couverture de prévoyance durant 2 ans au maximum dans les limites prévues par le règlement de prévoyance ou auprès de l’Institution supplétive (art 47 LPP).»

Alexandre Michellod, Président du Conseil de la plateforme de prévoyance lemania pension-hub et membre du Comité Exécutif de la Banque Gonet & Cie en tant que Head of Wealth & Investment Solutions


« si l’on met de côté la polarisation effectivement provoquée par le débat politique au sujet de la réforme nécessaire de notre système de prévoyance vieillesse, le développement de la prévoyance privée trouve ses fondements en partie avec l’augmentation des flux financiers dans la prévoyance professionnelle»


Nouvelles dispositions LPP

Franca Renzi souligne dans ce contexte, les nouvelles dispositions de la LPP, à savoir que « à partir du 1er janvier 2021, nous avons une nouveauté pour les assurés, licenciés par l’employeur, âgés de 58 ans ou plus (selon les règlements de prévoyance, l’âge peut être défini dès 55 ans). Ils auront la possibilité de maintenir leur prévoyance auprès de l’institution de prévoyance de leur ancien employeur (art. 47a LPP). Cette nouvelle disposition légale est d’une part une solution attrayante pour les assurés concernés qui pourront s’ils le souhaitent percevoir des prestations de vieillesse sous forme de rentes de l’institution de prévoyance de leur dernier employeur ; d’autre part, elle laisse aux institutions de prévoyance une certaine marge de manœuvre, car elles pourront adopter une disposition règlementaire qui correspond à leur philosophie ».

Evolution de la prévoyance vieillesse

Les 3 spécialistes ont des vues convergentes quant à l’évolution du système de prévoyance vieillesse en Suisse et de la polarisation de la prévoyance étatique et de la prévoyance privée. Pour Pasquale Zarra « avant toutes choses, il faut dire que notre système de prévoyance basé sur le système des trois piliers est envié du monde entier. Pourtant, les révisions doivent se faire, tant dans le premier piler que dans le 2ème pilier. Selon lui « c’est dangereux de mélanger les principes de base de chaque pilier, par exemple d’introduire le principe de répartition dans le 2ème pilier. De plus, le taux de conversion doit être adapté à la réalité, donc réduit suite à l’augmentation de l’espérance de vie afin d’éviter des redistributions croisées. Les jeunes ne doivent surtout pas perdre la confiance dans ce système de prévoyance à 3 piliers, mais continuer à y croire et y faire confiance. » Franca Renzi quant à elle « déplore que nos Conseillers fédéraux ne fassent pas assez d’efforts pour favoriser et améliorer notre prévoyance. De nombreux retraités n’arrivent pas à vivre en Suisse avec leur retraite, ce qui démontre que notre système de prévoyance étatique et professionnelle n’est pas optimal et que notre prévoyance privée n’est pas assez avantagée ». Les points qui pourraient être facilement adaptés, selon elles pourraient être les suivants

Pasquale Zarra, Directeur de PensExpert à Lausanne

« depuis un certain temps, il y a une demande accrue directement des assurés mais aussi des banques partenaires qui cherchent des solutions innovantes, du point de vue prévoyance, des investissements et de la fiscalité »

1) Dans le 1er pilier : la rente de retraite ne devrait pas être plafonnée pour les personnes mariées, aujourd’hui la rente est plafonnée à 150% pour un couple (l’augmentation des coûts de l’AVS peut être financée par une augmentation des cotisations paritaires).
2) Dans le 2ème pilier : supprimer le montant de coordination, commencer à cotiser pour la retraite dès 19 ans au lieu de 25 ans et fixer un taux de bonification unique pour toutes les classes d’âge.
Les avantages de ces adaptations seraient pour la Directrice de l’ESPP: « une amélioration de la rente de retraite LPP, une augmentation du nombre d’assurés soumis à la LPP ainsi qu’une plus grande facilité à garder les employés seniors par rapport aux plus jeunes (coût identique pour un même salaire, les seniors ne coûteraient pas plus qu’un jeune). »
3) Dans le 3ème pilier lié 3a: augmenter l’avantage fiscale en adaptant 2 points: augmenter le montant déductible qui est fixé à CHF 6’883.- pour un salarié dès 2021 (on pourrait éventuellement le doubler ou le tripler) et autoriser la déductibilité fiscale aux personnes sans activité lucrative, notamment aux femmes au foyer.

Finalement, Alexandre Michellod souligne que pour lui « si l’on met de côté la polarisation effectivement provoquée par le débat politique au sujet de la réforme nécessaire de notre système de prévoyance vieillesse, le développement de la prévoyance privée trouve ses fondements en partie avec l’augmentation des flux financiers dans la prévoyance professionnelle» .Pour lui, « ce phénomène à deux origines bien différentes avec, tout d’abord, l’essor depuis novembre 2017 des plans 1e réservés aux revenus de plus de 127’980 francs et, ensuite, effectivement l’accélération récente de la sortie des épargnes des caisses de pension vers des institutions de libre-passage. Pour ce qui est de la seconde, cette envolée s’explique par la mobilité professionnelle et la détérioration du marché de l’emploi. Les carrières ne sont plus linéaires: entre changements de carrière, à l’international en particulier, et hausse du nombre de personnes au statut d’indépendant – par choix ou par force -, un nombre croissant d’assurés sort des caisses de pensions et entre dans une situation de prévoyance transitoire en situation de libre-passage. La crise actuelle va malheureusement accentuer ce phénomène. Avec un scénario post-crise pessimiste, on peut anticiper jusqu’à 50’000 destructions d’emplois en Suisse. Soit environ 10 milliards de flux financiers vers le libre-passage. »

Importance de la gestion patrimoniale

Dans ce contexte, le rôle des conseillers patrimoniaux et des prestataires de prévoyance revêt un rôle clé pour aiguiller les bénéficiaires de capitaux de prévoyance que ce soit en termes de placement ou en termes d’optimisation fiscale. L’essor de la prévoyance privée ne fait ainsi que commencer et cette tendance devrait, selon tout vraisemblance, permettre un fort développement de la gestion patrimoniale, la pierre angulaire du Wealth Management en Suisse.