L’essor de l’investissement responsable: inéluctable ou effet de mode ?

L’essor de l’investissement responsable: inéluctable ou effet de mode ?

février 28, 2022 Non Par Invité(e)s

Linda Lehmann
Senior SRI Portfolio Manager
Head of Fund Selection
Gonet & Cie SA

L’ISR ou investissement socialement responsable a connu un boom sans précédent ces dernières années, le propulsant d’abord au rang de phénomène de mode, puis à celui d’évolution inéluctable d’un secteur financier jusqu’ici peu soucieux de considérations ESG (Environnement – Social – Gouvernance). Et si la finance pouvait contribuer à changer le monde ? Et si vous preniez de bonnes résolutions en 2022 qui consisteraient à avoir un impact positif, environnemental ou social sur le monde au travers de vos investissements ?

L’ISR, de la théorie à la pratique

Il n’est pas si lointain le temps où l’on considérait que l’investissement responsable était réservé à une poignée d’investisseurs peu soucieux de rendements financiers. Malgré les études académiques sur le sujet montrant qu’en théorie un investissement fondé sur une stratégie responsable ne fait ni mieux ni moins bien qu’un investissement dit traditionnel, les idées reçues ont la vie dure. On peut pourtant intuitivement comprendre que l’intégration de critères ESG améliore la qualité d’un portefeuille et réduit ainsi son risque.

La plupart des poncifs concernant l’ISR résultent d’une méconnaissance des différentes stratégies à disposition des clients. Rappelons que les principales théories économiques encore enseignées de nos jours se fondent sur des textes élaborés au XIXe siècle. On peut s’interroger sur leur capacité à relever correctement les défis de notre époque. Même s’il existe des écoles de pensée alternatives plus récentes, celles-ci peinent à s’imposer face au modèle dominant. On pense notamment ici à la théorie du Donut développée par l’économiste d’Oxford Kate Raworth qui a fait l’objet d’un livre : Doughnut Economics: Seven Ways to Think Like a 21st - Century Economist . Le concept du Donut est une représentation graphique en forme de beignet qui exploite l’adage selon lequel une image vaut 1000 mots. Ce beignet combine le respect des limites environnementales planétaires tout en imposant un plancher qui répond aux besoins sociaux essentiels. Ce sont les limites à respecter pour se mettre sur la voie d’une économie durable, un espace sûr et juste pour l’humanité.

Graphique: La théorie du Donut et les « neuf limites de la planète »

Source : oxfamfrance.org

Un secteur financier plus engagé

De la théorie à la pratique, il y avait jusqu’à présent un fossé qui commence à se combler de manière spectaculaire.
Les chiffres ne mentent pas.

La place financière suisse s’engage progressivement sur la voie de la transition dans un paysage européen de plus en plus réglementé, que ce soit au travers des initiatives lancées par Swiss Sustainable Finance (SSF) ou au travers des engagements ou recommandations émanant de la Confédération.

Même si l’Europe a retardé à janvier 2023 la mise en place effective de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), les investissements européens catégorisés durables restent dominants et croissent à un rythme soutenu. Les derniers chiffres disponibles au quatrième trimestre 2021 montrent que les actifs mondiaux alloués à des fonds dits durables atteignent désormais des montants de l’ordre de USD 3 trillions dans un marché encore largement dominé par l’Europe.

Quels thèmes pour 2022 ?

Face à un tel engouement, et au-delà des stratégies d’exclusion pures, les gérants de fonds ont redoublé d’imagination
pour proposer des thématiques d’investissement responsables. L’année 2021 aura été celle de l’impact, terme parfois galvaudé tellement il a été utilisé à mauvais escient et à toutes les sauces. Les stratégies d’impact sont celles dont « le but est de générer un impact social et environnemental en même temps qu’un rendement financier. L’investissement d’impact comprend la microfinance, l’investissement communautaire, les fonds de commerce/entrepreneuriat social »1.

Cette définition posée, les fonds thématiques destinés à mettre en place des stratégies qui relèveront les défis des 17 objectifs de développement durable (ODD) ne sont pas forcément des fonds d’impact. En revanche, l’objectif reste louable. Ces 17 fameux ODD ainsi que les 169 sous-objectifs associés dont on parle tant ont été adoptés en 2015 par les Nations unies. Ils recouvrent des domaines tels que la pauvreté, les inégalités, le climat, la dégradation de l’environnement et fixent une échéance à l’horizon 2030, pour qui veut s’engager dans un avenir plus durable.
Au chapitre des thématiques qui nous semblent intéressantes pour 2022, on retiendra :

  • En premier lieu, les problématiques liées au changement climatique. Le succès phénoménal du film Don’t look up sur Netflix sous forme de métaphore de l’urgence climatique et de la menace qu’elle fait peser sur le monde montre bien
    à quel point la prise de conscience est effective. Les stratégies net-zéro au travers de désinvestissements ou d’engagements visant à pousser les entreprises à se mettre sur la voie de la transition tendent toutes vers les objectifs de l’Accord de Paris.
  • Ensuite, la gestion et la protection des ressources naturelles au travers par exemple de fonds sur la thématique de l’eau. Il s’agit de préserver les ressources afin d’éviter les points de rupture irréversibles.
  • Puis, des thématiques plus sociales (le S de ESG que l’on oublie souvent) pourraient émerger encore davantage avec des sujets comme l’égalité des sexes, la diversité, l’éducation et l’inclusion.
  • Enfin, la protection de la biodiversité.

Le dernier rapport du WEF2, publié en début d’année montre qu’à un horizon de dix ans, la perte de biodiversité arrive en troisième position des risques les plus graves sur l’environnement (après le changement climatique et les épisodes météorologiques extrêmes). Les solutions sont néanmoins complexes à mettre en place car elles supposent de pouvoir mesurer correctement les services rendus par la nature à l’humanité (services écosystémiques).

Quelles conclusions ?

Pour conclure, il convient de garder à l’esprit que toutes les thématiques liées à l’investissement responsable sont par définition des thématiques de long terme qui supposent d’être armés pour faire face à de la volatilité. Bien que la disponibilité des données se soit notablement améliorée ces dernières années, celles-ci restent lacunaires et elles se heurtent également à la quantification de l’impact. Espérons que la mise en place de régulations plus contraignantes amène le monde sur des investissements qui vont au-delà du simple rendement financier et qui se préoccupent de l’avenir des générations futures.

Notes:

  1. Global Impact Investing Network (GIIN).
  2. The Global Risk Report 2022.

Linda Lehmann
Senior SRI Portfolio Manager
Head of Fund Selection
Gonet & Cie SA

Linda Lehmann est responsable de la sélection de fonds chez Gonet et spécialiste de l’investissement responsable. Elle occupe également la fonction de Portfolio Manager pour le mandat Investissement socialement responsable (ISR). Elle est active depuis 1998 dans l’industrie bancaire dont plus de quinze ans auprès d’Edmond de Rothschild Genève. Linda est spécialisée et certifiée dans le domaine de la finance et du management durable.