Avant la finance durable, l’économie durable

Avant la finance durable, l’économie durable

octobre 3, 2022 Non Par Invité(e)s

Jan Langlo
Directeur
Association des Banques Privées Suisses

Au début de l’été, de nombreux textes sont parus dans le domaine de la finance durable en Suisse. Mais avant d’examiner leur articulation, un bref rappel s’impose pour comprendre ce que l’on peut attendre de la finance durable – et ce que l’on ne peut pas en espérer.

On rappellera enfin que la durabilité recouvre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (les ESG). Tous sont importants et chacun a ses préférences sur ceux qu’il entend privilégier. Au final, le but est bien d’atteindre les 17 Objectifs de développement durable des Nations unies. Il se trouve simplement que les efforts internationaux se focalisent d’abord sur le climat (suivi par la biodiversité), en partie parce que les facteurs qui l’influencent sont plus faciles à mesurer, et aussi parce que tout le monde peut constater les manifestations de son changement.

D’après les Nations unies, la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat requiert une transformation économique et sociale – entreprises et citoyens doivent modifier leurs habitudes. Le secteur financier est impliqué surtout en raison des énormes financements nécessaires pour réduire les émissions de CO 2 , en particulier dans les pays en développement. C’est dans ce sens que les «flux financiers» doivent être rendus compatibles avec les objectifs de résistance aux changements climatiques.

Les appels de certains à ce que les banques, voire la Banque nationale suisse, vendent les titres de telle ou telle société confondent ainsi financements et investissements. Vendre une action ne fait pas perdre de l’argent à la société qu’elle représente, cela lui donne seulement un nouveau propriétaire – potentiellement moins intéressé à ce que la société modifie ses pratiques. Il vaut donc mieux rester investi et dialoguer avec la société pour l’encourager sur le chemin de la durabilité. En outre, plus de 97% des actions détenues par les banques le sont pour le compte de leurs clients, et ce sont eux qui décident de la composition de leur portefeuille.

Le rôle des banques

Dans ce contexte, quel est le rôle des banques? Ce ne sont pas des policiers qui doivent interdire certains investissements ou emprunts par ailleurs licites – ce serait au Parlement de le faire. Les banques sont des intermédiaires entre les investisseurs et les sociétés dans lesquelles ils investissent. Elles renseignent les premiers sur les secondes. Ces informations étaient auparavant de nature purement financière, elles seront de plus en plus aussi relatives à la durabilité d’une entreprise. C’est ainsi que fin juin, la faîtière des banques a publié deux autoréglementations obligatoires pour ses membres. La première porte sur le conseil en investissement, la deuxième sur le conseil hypothécaire. Dans les deux cas, le conseiller devra attirer l’attention de ses clients sur la durabilité des sociétés dans lesquelles il veut investir, respectivement du bien immobilier qu’il occupe. Le conseiller devra être formé à cet effet. En expliquant exactement à ses clients quels aspects de la durabilité sont pris en compte – ou pas – dans ses produits financiers, le but est de les sensibiliser, de répondre à leurs attentes et d’éviter les déceptions.

L’association Swiss Sustainable Finance a dans la foulée publié un guide pratique pour aider les conseillers à mettre en œuvre ces nouvelles auto-réglementations. À l’automne, l’Asset Management Association Switzerland publiera aussi une auto-réglementation portant sur les produits financiers comme les fonds de placement, afin d’établir les bonnes pratiques de leur gestion. Le but est ainsi que l’ensemble du secteur financier œuvre dans le sens d’une plus grande transparence, pour que les investisseurs placent leurs avoirs en toute connaissance de cause.

De son côté, la Confédération va dans le même sens: elle a élaboré des «Swiss Climate Scores» en étroite collaboration avec le secteur financier et les ONG. Ces indicateurs se fondent sur des standards internationaux et des méthodes scientifiques reconnues. Ils ont l’avantage de ne pas considérer que la situation actuelle d’une entreprise (p. ex. ses émissions de CO2 ), mais de regarder aussi ses engagements et sa stratégie pour parvenir à zéro émission nette. La Suisse ne se concentre ainsi pas seulement sur une appréciation ponctuelle des activités économiques comme le fait la taxonomie européenne, mais s’intéresse à la nécessaire transition de l’industrie.

Le rôle de l’économie

Si les banques admettent qu’elles doivent renseigner leurs clients sur la durabilité de leurs investissements, elles ont besoin pour cela des données des entreprises. Or celles-ci ne semblent pas avoir encore pris la pleine mesure du défi qui les attend. Pourtant, le contre-projet à l’initiative «entreprises responsables» a introduit l’obligation pour les plus grandes d’entre elles d’établir un rapport annuel sur les questions non financières (ESG), à compter de leur exercice 2023. Une consultation s’est achevée début juillet sur une ordonnance qui précise les informations à fournir en lien avec le climat, en référence aux standards internationaux. Idéalement, les entreprises publieront les informations qui permettront aux établissements financiers d’établir des «Swiss Climate Scores» pour leurs titres. Si elles ne le font pas, elles perdront des investisseurs et leurs emprunts coûteront plus cher. La transition écologique et sociale commence au sein des entreprises; les banques ne peuvent que refléter les efforts qu’elles fourniront.