Andrea Maechler, Directrice, BNS

Andrea Maechler, Directrice, BNS

novembre 30, 2022 Non Par Edouard Bolleter

«Il est important que nous restions indépendants»

Andréa Maechler fait partie du triumvirat qui dirige la Banque nationale suisse. A la fin d’une année particulièrement active pour la BNS, la Genevoise a accordé un entretien exclusif à Point de Mire dans le but de communiquer avec le lectorat de celui-ci. La dirigeante dévoile son fonctionnement et celui de son institution et parle notamment des relations soutenues avec les nombreux acteurs de la finance romande. Une interview très riche en enseignements pour 2023.
Par Edouard Bolleter.

PdM: Andréa Maechler, votre parcours professionnel vous a amenée à l’OCDE, à la Cnuced, à l’OMC, à l’ESRB et au FMI. Est-ce un passage international « obligé » pour accéder à la direction de la BNS ?

Andréa Maechler : Non, il s’agit tout simplement de mon parcours personnel. Je suis allée là où mon profil intéressait les institutions et j’ai pu, grâce à ces missions, financer notamment mes études et ma thèse. Mon passage au FMI, quant à lui, aurait dû être plus court mais l’expérience était si fascinante que j’y suis restée douze années ! Mon premier emploi après mon doctorat, c’était à la BNS en 1999. J’y suis restée jusqu’en 2001 avant de rejoindre le FMI.

Vous avez pris en 2015 la tête du troisième département qui s’intitule « Marché monétaire et des changes, Gestion des actifs, Opérations bancaires, Informatique ». C’est un mastodonte…

Vous avez raison, c’est le plus grand département à la BNS avec un énorme éventail de tâches. À l’époque, on qualifiait souvent ce département de « machinerie de la BNS ». Son fonctionnement est complexe. Avec mes collègues des deux autres départements, nous définissons et gérons la politique monétaire. Son implémentation se passe ensuite dans le troisième département. Pour donner un exemple récent, lorsque nous décidons de remonter le taux d’intérêt, notre rôle consiste à s’assurer que les taux de marché s’alignent rapidement au niveau désiré. Cela a demandé un très grand nombre de préparations avant notre décision et d’opérations sur le marché monétaire après notre décision. Dans toutes nos tâches, l’informatique est un élément essentiel, également dans les thèmes liés aux fintechs, aux systèmes de paiement ou aux outils liés au big data pour ne citer que quelques exemples.

Vous étiez la première femme à occuper une telle fonction, comment vous sentez-vous ?

Je suis une femme, Suisse et Romande. Je ne sais pas si cela représente un atout, je le considère surtout comme une responsabilité. La Direction générale de la BNS doit représenter et défendre la diversité. C’est un honneur pour moi d’apporter mon expertise et mon expérience et en plus de représenter la Suisse romande et les femmes. Je le fais avec beaucoup d’engagement dans une fonction que je respecte et que j’apprécie énormément.

Quel est votre style de management ainsi que les relations avec le reste du board ?

Mon style de management varie selon le rôle que je joue. Je m’adapte au contexte et aux objectifs. Lorsque je discute avec la Direction générale, par exemple, l’important est de faire preuve de collégialité et d’amener ses compétences et celles de son département respectif. Le but est d’assurer une grande qualité de discussion afin que les décisions prises à trois personnes soient fondées. Lorsque je suis avec mes équipes, qui sont extrêmement compétentes, je travaille avec beaucoup de proximité dans le but de faire remonter leurs expertises dans tous les domaines. Compte tenu de la complexité des sujets que nous traitons, nous faisons appel à nos nombreux spécialistes à l’interne dans nos prises de décisions.

La pression semble constante dans votre rôle, comment gérer notamment la communication avec les acteurs économiques ou politiques ?

La Banque nationale suisse doit avant tout rester indépendante pour prendre ses décisions. Nous acceptons le fait qu’il est impossible de contenter tous les acteurs lors de nos décisions. Mais l’important reste de garder la cohérence à long terme. Nous travaillons en effet dans l’intérêt général du pays et pas pour des groupes en particulier. L’exemple de la décision de la BNS d’introduire des taux négatifs est parlant. Il a fallu démontrer que cette décision n’était pas idéologique, mais stratégique et basée sur des analyses approfondies. À court terme, les questions et les craintes ont été nombreuses. Mais aujourd’hui, sept ans après, personne ne conteste ce choix. La communication est un élément essentiel pour expliquer nos décisions et nous communiquons avec transparence. Notre politique monétaire ne fonctionne bien que si nous sommes bien compris par le monde économique, la population et les entreprises, entre autres. C’est pourquoi une communication claire et sans équivoque est un élément essentiel, car, je l’ai déjà mentionné, nous travaillons dans l’intérêt général du pays.

L’image de la BNS n’est-elle pas un peu froide ? Qu’en pensez-vous ?

Notre indépendance ne doit pas imposer le silence. Il faut savoir que nous entretenons des discussions constantes avec les groupes économiques, les institutions politiques, la Finma ou encore les banques. Je viens par exemple régulièrement à Genève rencontrer des responsables bancaires afin de garder un dialogue ouvert. Je reçois bien entendu aussi de nombreux appels ou messages de dirigeants. Cette communication est primordiale pour comprendre le contexte dans lequel les banques et les acteurs économiques évoluent. La communication est un élément capital pour nous. À cet égard, la Direction générale et la Direction générale élargie effectuent régulièrement des présentations ou participent à des tables rondes pour expliquer la politique monétaire à tout un chacun.

Dans une logique identique d’indépendance, quels sont vos rapports avec le Conseil fédéral ?

L’équation est simple, nous n’avons pas le droit de recevoir des conseils du Gouvernement. En échange de cette indépendance fonctionnelle, nous sommes tenus d’informer régulièrement les autorités. Les échanges que nous entretenons avec le Conseil fédéral sont d’ailleurs excellents. Les responsabilités respectives et les rôles sont très clairs et le fonctionnement existant entre la banque centrale et les forces politiques est un atout majeur pour la Suisse. La récente expérience liée à la pandémie l’a démontré. Les institutions du pays ont réagi très vite et avec beaucoup d’efficience. Les PME en besoin de crédits ont pu bénéficier du système mis en place, connu sous le sigle FRC (Facilité de refinancement BNS-Covid-19, ndlr). Le Conseil fédéral amenait sa garantie aux banques et celles-ci proposaient alors en quelques heures des crédits aux entreprises avec un refinancement de la BNS. La réussite du système a été énorme et celui-ci a été cité en exemple au niveau international.

Comment interpréter les pertes actuelles et surtout comment les décrypter au mieux ?

Ces pertes représentent le résultat d’une politique monétaire réfléchie, choisie et appliquée, il faut les accepter dans ce contexte. Le résultat de la Banque nationale dépend principalement de l’évolution sur les marchés de l’or, des changes et des capitaux. C’est pourquoi de fortes fluctuations sont possibles.

Un franc à 0,85 dans quelques mois contre l’euro, certains le prédisent. Est-ce crédible ?

Ces estimations restent des prédictions que personne ne peut anticiper, et cela est valable pour moi
aussi ! Nous ne poursuivons pas d’objectif de taux de change et ne pouvons pas non plus nous prononcer sur les évolutions futures.

«Sept ans après les taux négatifs, personne ne conteste ce choix. »

Les hausses récentes des taux ont surpris en Suisse, et les banques doivent de nouveau adapter leurs modèles d’affaires…

Nous l’avons toujours dit, dès que nous serons en mesure de sortir du taux négatif, nous le ferons. En juin, face à la pression inflationniste, nous avons relevé notre taux à 0%. En septembre, nous avons augmenté notre taux de 75 points de base et sommes ainsi sortis du taux négatif. Pour prendre ces décisions, nous avons à la fois pris en considération la dynamique d’inflation et les perspectives économiques en Suisse ainsi que les conditions cadres à l’étranger. D’une manière générale, la BNS est transparente avec ses chiffres et son bilan. Les surprises sont relativement rares pour les experts, je peux vous l’affirmer.

La préoccupation majeure des Suisses et de la place financière devient la prévoyance et son avenir incertain...

La prévoyance est l’un des piliers les plus importants de notre système de retraite et nous en avons conscience. Ces dernières années, les caisses de pension ont été confrontées à des défis de taille, comme la persistance d’un environnement de taux d’intérêt bas et l’augmentation de l’espérance de vie à l’âge de la retraite. La BNS contribue à la stabilité des caisses de pension en menant une politique monétaire axée de manière cohérente et crédible sur la stabilité des prix. Cela permet à long terme la croissance économique et la prospérité en Suisse et garantit le pouvoir d’achat. Il ne faut pas oublier que la stabilité des prix a une grande valeur pour les retraités, entre autres, car ils ne peuvent pas se protéger contre une perte de pouvoir d’achat qu’entraînerait l’inflation.

La redistribution aux cantons remise en question

Une forte perte annuelle remettrait en question la redistribution aux cantons et à la Confédération. En effet, la distribution du bénéfice par la BNS se fait après la constitution de provisions, qui ont la « priorité sur une distribution éventuelle », selon ses statuts. Pour les années 2020 à 2025, l’attribution annuelle à la provision pour réserve monétaire est passée à 10% au moins du solde de la provision pour réserves monétaires de l’exercice précédent, après 8% auparavant. Une fois les fonds propres consolidés, reste alors le bénéfice distribuable, mais dont le versement est échelonné pour assurer une répartition constante, ce qui permet « d’améliorer la planification de la Confédération et des cantons ». Ce sont ces réserves pour distributions futures qui risquent d’être largement amputées si la perte comptable essuyée sur neuf mois n’est pas drastiquement réduite.

Que pensez-vous des demandes de redistribution des bénéfices de la BNS ou de son or, provenant de toutes parts ?

La distribution du bénéfice de la BNS est régie par une convention entre le Département fédéral des finances et la Banque nationale. Cette convention prévoit une distribution annuelle de 6 milliards de francs au maximum aux cantons et à la Confédération, pour autant que la situation le permette. Libre ensuite à eux de déterminer à quelles fins ils souhaitent utiliser cet argent. Nous ne nous ingérons pas dans ces discussions. À cet égard également, il est important que nous restions indépendants de toute pression politique. Lier le financement de certaines tâches à la distribution du bénéfice menacerait l’indépendance de la Banque nationale suisse. La répartition claire des tâches et le partage des responsabilités entre les différentes institutions en Suisse sont des facteurs de stabilité importants pour notre pays.

Andréa M. Maechler est née en 1969 à Genève.
Ses études en économie politique l’ont menée à l’Université de Toronto, puis à l’IHEID à Genève et à l’Institut de hautes études en administration publique à Lausanne et à l’Université de Californie à Santa Cruz. Le Conseil fédéral l’a nommée membre de la Direction générale de la BNS en 2015.

Une perte de 142,4 milliards de francs au troisième trimestre

Depuis le début de l’année, les positions en monnaies étrangères de la BNS ont enregistré une perte de 141 milliards, en raison d’importantes pertes de cours et de change. Les produits des intérêts et des dividendes se sont inscrits à respectivement 5,1 milliards et 3,4 milliards de francs. Le stock d’or, qui est resté inchangé en volume, a accusé une moins-value de 1,1 milliard de francs. Les positions en francs ont dégagé une perte de 24,1 millions de francs. Les intérêts négatifs, qui étaient prélevés jusqu’au 22 septembre sur les avoirs en comptes de virement, ont notamment contrebalancé les pertes de cours sur les titres porteurs d’intérêts et les instruments sur taux d’intérêt.