Actions : le marché sous-estime l’impact des lois antitrusts

Actions : le marché sous-estime l’impact des lois antitrusts

décembre 19, 2022 Non Par Invité(e)s

John Kisenyi
Analyste en actions durables
Mirabaud Asset Management

Quel est l’impact des législations antitrusts sur les multinationales ? Une approche ESG intégrée peut permettre une évaluation plus précise des actions concernées. Avec une capitalisation boursière de plus de 105 000 milliards de dollars (1), l’analyse des actions mondiales et la sélection des entreprises de qualité présentant un potentiel de croissance à long terme représentent un véritable défi. Elle doit également évoluer dans un monde devenu plus complexe afin de prendre en compte de nouveaux scénarios, et intégrer l’ESG à tous les niveaux, en se basant notamment sur une approche « bottom-up ». Pour bon nombre d’entreprises analysées, la législation et la réglementation antitrusts constituent une question ESG importante, souvent négligée par le marché. Les lois antitrusts, telles qu’elles sont décrites par la Commission fédérale du commerce des Etats-Unis, sont conçues pour protéger le processus de concurrence au profit des consommateurs, en incitant les entreprises à fonctionner efficacement, en maintenant les prix bas et la qualité élevée. Si les entreprises deviennent trop grandes et trop puissantes, elles exercent des pouvoirs monopolistiques, augmentent les prix et réduisent la qualité de leurs produits et services au détriment du consommateur. Cette crainte prend de plus en plus d’importance sur les marchés développés et émergents.

La réglementation antitrust en action

Force est de constater que les institutions internationales deviennent de plus en plus actives sur ces questions antitrusts. Par exemple, la Commission européenne a proposé en mars 2022 une nouvelle réglementation antitrust – la loi sur les marchés numériques – qui a été adoptée par le Parlement européen en juillet. Cette réglementation vise les grandes plateformes numériques (gatekeepers) de l’UE qui répondent à des critères prédéfinis concernant leur nombre d’utilisateurs, leur capitalisation boursière et leur chiffre d’affaires. Parmi ces entreprises figurent les grands noms que sont Google, Microsoft, Apple, Meta ou Amazon.

Cette réglementation vise principalement :

• Le téléchargement – les gatekeepers ou « contrôleurs d’accès » doivent permettre aux appareils électroniques utilisant leurs systèmes d’exploitation de désinstaller les logiciels préinstallés et de permettre l’installation d’équivalents tiers (2).

• L’auto-référencement et notamment l’arrêt du classement des produits de ces gatekeepers au-dessus des concurrents sur leurs propres plateformes (3).

Les amendes associées à ces actions sont importantes :

• Jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel total de l’entreprise (20% en cas de récidive)(4) .

• Des pénalités périodiques pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires global quotidien du gatekeeper (5) .

•La vente forcée d’une partie de l’activité du contrôleur d’accès en cas d’infraction systématique (6).

Le jour de la signature de ce règlement, la Commission européenne a confirmé l’amende antitrust de 4,12 milliards de dollars infligée à Google pour avoir imposé des restrictions illégales aux fabricants d’appareils mobiles Android et aux opérateurs de réseaux mobiles afin de consolider la position dominante de son moteur de recherche (7).

Ces développements font suite à une répression antitrust menée à l’encontre des grandes entreprises technologiques en Chine en 2021 (8) ou au déterminisme de la Commission fédérale du commerce américaine souhaitant bloquer ce qu’elle considère comme des acquisitions anti-concurrentielles et visant par exemple Meta ou Within Unlimited (9) . Ces nouvelles réglementations sont un signal fort adressé aux gatekeepers mais également aux investisseurs, qui doivent les prendre en compte lors de l’évaluation des entreprises.

« Force est de constater que les institutions internationales deviennent de plus en plus actives sur ces questions antitrusts.»

Analyse intégrée des actions

Comment les investisseurs actions peuvent-ils intégrer les questions d’ententes et d’abus de position dominante dans l’évaluation des entreprises ? il existe trois méthodes principales reflétant une augmentation du risque antitrust dans le cadre de l’évaluation des flux de trésorerie actualisés (DCF).

La première consiste à supposer les dépenses supplémentaires sur la base de précédents. Les investisseurs qui pensent qu’une amende est probable peuvent se référer à des amendes antérieures auxquelles des entreprises similaires ont été confrontées, ou examiner les amendes stipulées par la réglementation. Ce chiffre pourrait ensuite être réparti sur cinq à dix ans dans le modèle afin d’en déduire le coût potentiel pour l’entreprise. Il est également possible d’augmenter le taux d’actualisation. Les investisseurs pourraient choisir de l’augmenter d’un certain nombre de points de base afin de déterminer de manière adéquate l’augmentation de la prime de risque des actions due au risque de sanctions antitrusts.

Une autre option serait d’actualiser les flux de trésorerie futurs d’une division plus exposée que le reste de l’entreprise. Aucune de ces méthodes n’est parfaite, mais les trois offrent aux investisseurs un outil préventif leur permettant d’envisager les impacts potentiels des mesures antitrusts sur l’évaluation d’une société avant qu’ils ne se produisent. Quelle que soit l’approche choisie par les investisseurs, ils devront trouver le moyen d’intégrer ces considérations ESG de plus en plus importantes dans leurs modèles d’évaluation, car jusqu’à présent, le marché a sous-estimé leur importance.

(1) Statista (2) Deloitte (3) Deloitte (4) European Commission (5) European Commission (6) European Commission (7) CNBC (8) The Institute for ChinaAmerica Studies (ICAS) (9) Federal Trade Commission

John Kisenyi
Analyste en actions durables
Mirabaud Asset Management