Le private equity sort ses griffes en Suisse

décembre 2, 2022 Non Par Edouard Bolleter

L’impact de la crise semble restreint en Suisse dans le domaine du private equity. Selon des experts, les investisseurs individuels se réfugient notamment sur les marchés privés et la Suisse représente une place unique pour ce marché. Point de la situation. Par Edouard Bolleter

Les récents mois ont été pénibles pour les investisseurs en Suisse. Recul des marchés boursiers, politiques monétaires incertaines, crises diplomatiques et énergétiques mondiales, il devient difficile de trouver des créneaux porteurs et fiables. Comme souvent dans ces périodes spéciales, les industries financières « parallèles » deviennent un exutoire. Le domaine du private equity pourrait alors sortir son épingle du jeu. Pour ce faire, il est d’abord important d’en dresser le portrait actuel en Suisse. Pour résumer le tableau, les principaux acteurs en Suisse romande sont les investisseurs corporate institutionnels, les family offices ainsi que les wealth managers organisés sous forme de fonds de fonds tels que Pictet, Indosuez ou Lombard Odier. Il existe aussi d’autres structures sous forme de fonds de fonds comme Unigestion et Flexstone. En 2022, dans la pratique, les private markets représentent avant tout une classe d’actifs pour les institutionnels qui investissent de manière grandissante et récurrente. Quant aux privés et family offices, ils ont directement accès à certaines opportunités et se tournent vers des wealth managers équipés d’une infrastructure adaptée pour compléter leurs allocations.

Vers une démocratisation grandissante

En outre, si l’on compte relativement peu de fonds de private markets suisses notamment sur le capital investissement (buyout), le segment du venture capital (seed et early stage) est un peu plus représenté même s’il ne reflète pas encore le niveau de compétitivité et d’innovation de la Suisse, selon Nicolas Renauld qui pilote le pôle Investissements de l’offre private markets au niveau mondial pour le groupe Indosuez Wealth Management. Alors, les acteurs du private equiy sont-ils amenés à croître ces prochains mois ? Nicolas Renauld nous donne son avis des plus expérimentés sachant que sur deux décennies, Indosuez a accompagné la transformation et le financement de plus de 3000 sociétés privées en Europe de l’Ouest, en Asie et aux États-Unis, en particulier dans des secteurs inscrits dans les grandes tendances séculaires comme l’éducation, la santé, l’agroalimentaire et le digital. « Il y a beaucoup d’investisseurs dans des fonds de private markets en Suisse, aussi bien institutionnels que privés, compte tenu de la structure de rente des caisses de pension ainsi que de la présence de grandes fortunes et de family offices. De notre perspective, il y a une démocratisation grandissante et continue des private markets auprès des acteurs suisses. C’est un segment devenu mainstream pour les institutionnels et les grandes fortunes.»

Les investisseurs existants maintiennent leurs expositions

Et quelles sont, selon l’expert, les attentes du secteur et des investisseurs pour les années à venir, et quel serait « l’effet 2022 » (post covid, Ukraine, crise énergétique) ? « Il est encore trop tôt pour juger pleinement de l’impact de la crise actuelle sur les Private Markets. À ce stade, il s’est essentiellement porté sur le monde du venture capital (dans le sillage de la bourse) et du large cap buyout. Quant aux impacts opérationnels sur les marges de nos PME en lien avec des pressions inflationnistes, ceux-ci-seront visibles en année pleine sur 2023 plus qu’en 2022. À ce jour, l’impact est essentiellement centré sur les fonds de buyout de taille importante qui ne peuvent plus vendre leurs participations via des IPO sur les marchés financiers ou sont freinés, à partir d’une certaine taille, par le manque de financement disponible de la part des banques. » 

Est-ce toutefois un signal d’alerte pour le Private Equity ? » Par expérience, dans le monde des Private Markets on ne peut pas « timer » le marché. La classe d’actifs des Private Markets nécessite de déployer en permanence pour maintenir des capitaux au travail, avec des cycles plus favorables que d’autres. Le plus important étant de constituer une diversification géographique et stratégique adaptée sur un large segment des Private Markets incluant le marché primaire, secondaire et le co-investissement. La classe d’actifs ayant démontré sa résilience au travers des cycles, notre perception est que les investisseurs existants maintiennent leurs expositions sur la classe d’actifs alors que de nouveaux investisseurs s’y ouvrent structurellement », nous explique encore Nicolas Renauld. Reste à savoir si les performances sont au rendez-vous cette année. Nicolas Renauld dévoile des chiffres de son établissement afin de donner une idée à notre lectorat. « Nous nous basons sur une infrastructure de taille pour conduire une cinquantaine d’investissements par an (primaire, secondaire et co-investissements directs) essentiellement en Europe, aux États-Unis et en Asie. Et les investissements réalisés sur notre plateforme ont généré un taux de rendement annualisé de plus de +13,1% depuis 2001.»

«Nous assistons à un véritable tournant, les investisseurs individuels se réfugiant auprès des marchés privés. »

Nicolas Renauld pilote le pôle Investissements de l’offre private markets au niveau mondial pour le groupe Indosuez Wealth Management. Indosuez est pionnier dans le secteur
depuis plus de vingt ans.

La Suisse est le marché européen le plus sophistiqué

Autre témoin et acteur important sur le marché suisse, la plateforme digitale numéro un mondial de capital investissement Moonfare a augmenté ses actifs sous gestion de près de 90% au cours de l’année qui s’est achevée fin septembre 2022, pour atteindre 2,18 milliards d’euros. Elle vient d’ouvrir un bureau à Zurich. Selon son CEO Steffen Pauls, les investisseurs individuels affluent vers cette classe d’actifs dans un contexte de turbulences sur les marchés publics et la Suisse est le marché européen le plus sophistiqué en Europe pour le private equity. Cela tiendrait à la présence des grandes banques ainsi que des nombreux établisse ments spécialisés dans la gestion institutionnelle. « Nous assistons à un véritable tournant, les investisseurs individuels se réfugiant auprès des marchés privés. Les investisseurs privés rattrapent de plus en plus les investisseurs institutionnels professionnels et ont découvert que le capital investissement pouvait être un havre de sécurité contre l’inflation et la forte volatilité des marchés boursiers. Nos données montrent qu’ils ont bel et bien compris que le private equity surperforme les marchés publics, en particulier en période de récession », explique-t-il. Le nombre d’investisseurs de Moonfare a ainsi augmenté de 63% pour atteindre 3272, tandis que le nombre d’utilisateurs enregistrés a plus que doublé (141%) pour un total de 46 000. Le nombre d’investissements individuels a, quant à lui, augmenté de 70% et atteint 8462. 

Enfin, la société de données d’investissement Preqin prévoit qu’à l’échelle globale, les actifs sous gestion du capital privé vont presque doubler pour atteindre les 18,3 milliards de dollars d’ici à 2027. Elle anticipe de même que l’intérêt des particuliers pour les solutions alternatives alimentera cette prochaine vague de croissance, les investisseurs individuels recherchant d’autres sources de rendement dans un contexte d’incertitude économique.