Nicolas Nussbaum, directeur romand, BlackRock

Nicolas Nussbaum, directeur romand, BlackRock

mars 1, 2023 Non Par Edouard Bolleter

«Les actifs alternatifs seront la clé en 2023»

Nicolas Nussbaum est Managing Director du géant américain BlackRock. Il est chargé des investissements alternatifs pour la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique (EMEA), et responsable du bureau de Genève de BlackRock. Le groupe qu’il représente est tout simplement le premier gestionnaire d’actifs du monde dont les montants sous fiduciaire représentent environ 8000 milliards de francs. Pour Point de mire, le dirigeant d’origine genevoise dévoile les stratégies du groupe dans le monde et en Suisse et souligne l’importance primordiale de la place romande pour BlackRock. 

Par Edouard Bolleter

PdM: Nicolas Nussbaum, BlackRock est un géant mondial de la gestion. Comment le résumer en quelques mots?

Nicolas Nussbaum: BlackRock est l’un des principaux fournisseurs mondiaux de solutions d’investissement, de conseil et de gestion des risques. Le groupe est en pole position dans la gestion d’actifs avec, de manière agrégée, près de 8000 milliards de francs confiés par nos clients (à titre fiduciaire, ndlr). Fondé en 1988, initialement actif sur le marché domestique américain, le groupe est aujourd’hui présent dans 38 pays et emploie environ 19 000 personnes.

BlackRock est devenu en vingt-cinq années de présence un acteur majeur et incontournable pour la place financière suisse, quel est son business model?

Avec plus de 100 employés et nos deux bureaux en Suisse à Zurich (gérant de fonds enregistré à la Finma, ndlr) et à Genève, BlackRock Asset Management Suisse SA fournit des services d’investissement, de gestion d’actifs et de gestion des risques à une large clientèle comprenant des banques et intermédiaires en gestion de patrimoine, des family offices ainsi que des clients institutionnels tels que des caisses de pension et des assureurs. Nous avons pour vocation d’aider nos clients suisses à atteindre leurs objectifs financiers, tout en faisant de la durabilité la norme pour la gestion de leurs actifs. La Suisse est l’un des plus importants marchés de BlackRock en Europe et dispose encore d’un fort potentiel de croissance.

Et en Suisse romande?

Nous sommes présents depuis 2008 à Genève et avons emménagé dans nos locaux actuels de la rue du Rhône en 2016. Notre présence à Genève s’est également étoffée avec des équipes locales dédiées dans plusieurs domaines de compétences clés pour les investisseurs. Nous accueillons une dizaine de collaborateurs répartis entre les équipes iShares & Wealth, Clientèle institutionnelle et les Investissements alternatifs. Nous fonctionnons comme une porte d’entrée sur l’ensemble de la plateforme de BlackRock pour nos clients suisses et nous proposons l’ensemble du spectre des expertises du groupe.

En quoi Genève tient-elle une place spéciale au sein du groupe? 

La présence de BlackRock a toujours été maintenue depuis 2008 contrairement à d’autres groupes étrangers qui ont assuré une présence par intermittence ou qui couvrent la Suisse romande depuis Zurich ou Londres. Nous n’avons pas de velléités de doubler inutilement notre présence, les ressources ici sont très bonnes et nous permettent d’atteindre une bonne connaissance des besoins de nos clients romands grâce à la qualité et à la stabilité de notre équipe. L’efficience de notre implantation locale est excellente.

Comment le bureau de Genève peut-il prendre des initiatives, à l’image de votre participation à la conférence «Building Bridges»?

Nous bénéficions d’une parfaite indépendance tant au niveau local qu’au niveau suisse et nos marges de manœuvre sont importantes. Nous soutenons Building Bridges et y participons activement, car nous sommes convaincus que la place financière suisse a un rôle primordial à jouer dans le domaine de la finance durable.

«La suisse est l’un des plus importants marchés de BlackRock en Europe et dispose encore d’un fort potentiel de croissance.»

Quelle est la particularité de votre clientèle suisse, versus celle mondiale?

En Suisse, certaines proportions sont inversées par rapport à celles au niveau global du Groupe. Notre clientèle «wealth» (banques privées et intermédiaires financiers), par exemple, représente 70% de notre activité en Suisse, contre 30% pour l’institutionnelle, alors que c’est l’inverse au niveau global. Cette différence s’explique par la prépondérance de l’industrie du private banking en Suisse.

Comment qualifieriez-vous la clientèle suisse?

Son niveau d’exigence est logiquement très élevé en raison de l’ADN de private banking de la Suisse. La demande en produits sophistiqués est plus forte qu’ailleurs. La Suisse est un marché stratégique pour BlackRock, c’est déjà le cas actuellement et le potentiel est important. C’est un marché phare sur lequel nous enregistrons de grands succès grâce à des collaborateurs locaux qui connaissent très bien le marché suisse. Nous profitons de notre forte identité locale tout en mettant à disposition nos ressources réellement globales. C’est notamment pour ces raisons que BlackRock a toujours voulu assurer une présence romande en parallèle à Zurich.

BlackRock affiche aujourd’hui une volonté totale d’investir dans des produits liés aux grands changements mondiaux, énergétiques ou environnementaux, ainsi que l’ont encore affirmé ses dirigeants lors du récent World Economic Forum…

Notre approche de l’investissement est ancrée dans notre devoir fiduciaire: nous avons toujours mis l’intérêt du client en premier et cherchons à obtenir les meilleurs rendements ajustés au risque. Elle repose donc sur une analyse détaillée de ces risques. Nous appliquons cette même approche à la manière dont nous évaluons les facteurs de risque, notamment climatiques, et nos estimations de rendements au vu de différents critères de durabilité.

Vous êtes responsable des investissements alternatifs. Quel est votre avis sur cette transition actuelle?

Du point de vue des marchés financiers, je considère que l’année 2022 marque un changement de paradigme, avec un resserrement monétaire et une hausse des taux historique, le retour de la volatilité et une inflation que nous pensons persistante. La transition énergétique à terme s’est vue renforcée par les besoins des états d’assurer leur approvisionnement en énergie de manière indépendante.

Que peut représenter l’année 2023 pour les investisseurs, quelle est votre analyse?

Avec la hausse des taux d’intérêt, l’inflation persistante, les tensions géopolitiques mondiales que l’on vit actuellement, la volatilité est de retour. La pression engendrée par le besoin de maintenir la transition énergétique tout en garantissant son approvisionnement est un facteur important. Nous considérons 2023 de façon constructive. Certaines stratégies d’investissement permettent de répondre à ces défis. Pour nous, le monde a changé, de nouveaux paradigmes font, encore une fois, leur apparition. Le marché est actuellement mené par l’offre, l’inflation restera à terme plus élevée que prévu, au-dessus selon nous de la valeur cible de 2%, et les taux d’intérêt resteront hauts pour le moment.

Face à ces changements rapides et actuels, comment gérez-vous vos positions?

Nous revisitons la construction de nos portefeuilles et la pondération des différentes classes d’actifs. Le modèle de référence jusqu’en 2022, de 60% actions/40% obligations, a été mis à mal l’année dernière, les deux classes d’actifs, normalement décorrélées, ayant, fait rare, baissé simultanément. Il nous faut à présent trouver d’autres sources de décorrélation, les investissements alternatifs ou les marchés privés font partie de ces solutions, tout en offrant également une certaine protection contre l’inflation.

Le fondateur de BlackRock, Larry Fink, veut voir des opportunités dans les crises actuelles. Quelles sont-elles?

Nous assistons à un réel regain d’intérêt pour les marchés privés. Ceux-ci offrent une diversification par rapport aux marchés financiers publics et une meilleure protection contre l’inflation. Le private equity, malgré une révision des valorisations, a connu une volatilité moindre par exemple. Les hedge funds ont notamment vu leur légitimité revenir dès 2020, après des années moins florissantes. La dette privée et les infrastructures sont aussi à un point important de leurs cycles respectifs. L’industrie a connu une croissance rapide au cours des dix-huit derniers mois, s’intégrant dans nos stratégies de protection de capital. 2023 et 2024 devraient, en ce sens, être porteuses tant pour de nombreux segments privés que pour les hedge funds.

Le marché des infrastructures semble aussi une priorité pour BlackRock.

C’est un énorme marché qui va nécessiter 4 trillions de dollars d’investissement par an dans le monde pour atteindre les objectifs Net Zero affichés d’ici à 2050 et offrir de nombreuses opportunités de placement à long terme. Si les programmes se mettent lentement en place, les volontés politiques vont s’accélérer. Ils concernent notamment la sécurisation des productions énergétiques et les avancées dans le renouvelable. Les facteurs démographiques, digitaux ou technologiques seront également primordiaux dans ce mouvement. Plus de 8000 deals ont été sourcés et analysés par BlackRock en 2022 sur l’ensemble des marchés privés et notamment dans le domaine des infrastructures. BlackRock considère que la dimension durable de ces investissements est fondamentale.

Par sa taille, BlackRock est de facto actionnaire auprès d’innombrables sociétés dans le monde, dont plusieurs en Suisse, cotées et prestigieuses…

Ce positionnement dans des sociétés est essentiellement lié à l’activité passive de nos fonds indiciels et de nos ETFs iShares sur tous les marchés boursiers importants. Il faut rappeler que ces investissements passifs ne sont pas le fait de positions volontaires dans telle ou telle entreprise mais juste le reflet des différents indices qui évoluent avec le marché. Lorsque nous apparaissons dans le registre des actionnaires de ces sociétés ou qu’une annonce est faite, cela signifie simplement que ces investissements, reflétant les indices dans lesquels la société est référencée, ont fait passer BlackRock au-dessous ou au-dessus de certains pourcentages.

Nicolas Nussbaum est Managing Director, il est chargé de l’investissement alternatif et des hedge funds pour BlackRock en EMEA. Avant de rejoindre BlackRock en 2008, il a travaillé pendant sept ans chez Lombard Odier & Cie, notamment en tant que responsable d’une équipe liée à la clientèle institutionnelle.
Il est titulaire d’un Master en finance et économie de HEC Lausanne. Nicolas Nussbaum est également responsable du bureau de Genève.

BlackRock en 2022

Le numéro un mondial de la gestion d’actifs a réussi à limiter la baisse de ses encours l’an dernier. La gestion rigoureuse de ses coûts et une collecte importante, supérieure à celle de son grand concurrent Vanguard, lui ont permis de publier un résultat net bien supérieur aux attentes du marché au quatrième trimestre. L’année 2022 aura sans conteste été une épreuve pour le numéro un mondial de la gestion d’actifs, véritable baromètre des marchés financiers en déroute. Après avoir dépassé en fanfare la barre symbolique de 10 000 milliards de dollars l’année précédente, ses encours sous gestion ont fondu à 8594 milliards de dollars fin 2022, sous l’effet conjugué de la chute des marchés d’actions et d’obligations. Il n’empêche que, sur l’année, BlackRock est tout de même parvenu à attirer 393 milliards de dollars de collecte nette positive, dont 146 milliards de dollars entre octobre et décembre, dans un marché en rebond plus propice aux investissements.