« A la recherche du rendement perdu » Une interrogation préoccupante pour les experts de la prévoyance
décembre 20, 2016C’est désormais une tradition bien établie. Chaque année, au début octobre, la direction lausannoise du groupe lucernois PensExpert SA invite ses clients et ses partenaires, les représentants des institutions financières et du monde académique, ainsi que des médias sélectionnés, à sa « Conférence annuelle sur la Prévoyance », à Lausanne. Ce 4 octobre c’est Michel Girardin, Chargé d’enseignement en macro-finance à l’Université de Genève, invité d’honneur de la conférence, qui a passé en revue, dans une présentation magistrale, quelques-uns des défis nationaux et internationaux qui pèsent sur les acteurs économiques, dont ceux en particulier de la prévoyance professionnelle. Ensuite, face à un public nombreux et attentif, rassemblé dans le cadre somptueux de l’hôtel Lausanne-Palace, le professeur Girardin a discuté l’idée d’instaurer, en Suisse, un fonds souverain qui permettrait d’ouvrir des alternatives nouvelles aux investisseurs et aux gestionnaires de nos caisses de pension.
« A la recherche du rendement perdu », tel était le titre de l’exposé de Michel Girardin qui a souligné tous les défis auxquels doivent faire face aujourd’hui les acteurs de la finance. A l’issue de cet événement, et pour Point de Mire, le professeur Girardin a bien voulu développer avec nous ses réflexions sur la situation macro-financière et répondre à quelques questions. Il évoque notamment l’idée d’un fonds souverain. Est-ce que cette piste, permettrait-elle de retrouver le rendement perdu ?
Six questions à Michel Girardin
1. Point de Mire : Les taux d’intérêts zéro et les rendements négatifs continuent de faire la une des journaux. Quels sont aujourd’hui les « cibles » les plus prometteuses pour l’investisseur ?
Michel Girardin : La politique d’injection massive de liquidités depuis la grande récession de 2007 – 2008 s’est opérée en deux temps. Durant une première phase, les Banques centrales ont réduit les taux d’intérêt directeurs à zéro, puis, voyant que cette mesure était insuffisante pour doper la croissance, elles ont procédé à des rachats d’actifs, principalement obligataires. Cette prise de contrôle intégrale de la courbe des taux d’intérêt a entraîné une faiblesse marquée de ces derniers dans le but d’inciter les investisseurs à la prise de risque, tant monétaire que sur les actifs financiers. C’est le phénomène du « TINA » (There is No Alternative ») où les investisseurs se lancent dans une quête désespérée du rendement. Faute de la trouver sur les actifs peu risqués que sont les placements monétaires et obligataires, ils vont la chercher sur des « cibles » d’investissement beaucoup plus volatiles, comme les actions, l’immobilier, les obligations à haut rendement ou encore les placements alternatifs, que ce soit les Hedge Funds ou le Private Equity. Dans ce dernier cas, les investisseurs sont même disposés à sacrifier la liquidité de leurs placements sur l’autel du rendement espéré.
2. PdM : D’après vous comment la Banque Centrale Européenne (BCE) pourrait-elle surmonter la « trappe à liquidités » qui paralyse notamment les gouvernements ?
M.G : Il est très difficile pour une Banque centrale de contrer des pressions déflationnistes, telles que celles qui naissent de la trappe à liquidités. La politique monétaire agit de manière asymétrique sur la croissance et les prix. Lorsque la surchauffe menace, il est relativement aisé pour toute Banque Centrale de contrer la menace inflationniste. Il suffit pour ce faire de monter les taux d’intérêt au niveau qu’elle jugera nécessaire pour réduire la demande de crédits par les consommateurs et les entreprises. Dans le cas inverse d’une injection de liquidités visant à doper croissance et inflation, le succès de cette politique « d’argent facile » passe par le bon vouloir des banques commerciales à octroyer davantage de crédits aux entreprises et aux ménages. Lorsque cette situation d’insuffisance de la demande fait suite à un excès d’endettement, comme c’est le cas depuis la Grande Récession de 2007-2008, les banques rechignent à étendre leurs activités de crédit, car leurs bilans souffrent d’un manque de fonds propres, ou d’un excès de crédits non-performants, voire de la combinaison de ces 2 facteurs. A cet égard, le Japon constitue un cas d’école qui illustre parfaitement l’immense difficulté pour la Banque centrale de sortir le pays de la trappe à liquidité. La BCE est confrontée à la menace de « Japonisation » de la zone Euro. Les manuels d’économie sont très clairs sur la question de l’efficacité de la politique monétaire lorsqu’il s’agit de sortir d’une trappe à liquidité : elle est nulle ! La seule manière pour que cette politique soit couronnée de succès est de la lier à la politique budgétaire.
3. PdM : Sur le moyen et le long termes la Banque nationale suisse (BNS) ne court-elle pas des risques si elle continue sa politique actuelle en faveur du cours du Franc ?
M.G : Le bilan de la BNS dépasse aujourd’hui le produit intérieur brut de la Suisse. Sous cet angle, notre Banque Centrale mène la politique monétaire la plus agressive du monde ! En théorie, le bilan d’une banque centrale n’a pas de limite supérieure, tout comme le niveau de fonds propres à son bilan n’a, quant à lui, pas de seuil minimum. En pratique, le bilan d’une banque centrale se doit d’être en ligne avec la taille du marché de référence. Avec ses 630 milliards de francs, pensez-vous qu’il soit justifié que la BNS draine près de 6 fois plus de réserves de change que la Banque centrale américaine ? A long terme, le danger d’une accélération de l’inflation existe, sur fond de création monétaire excessive.
4. PdM : La réponse classique aux taux d’intérêt bas est le maintien de dépôts en liquidités. Les tentatives d’entraver la circulation d’argent liquide, officiellement justifiées par la lutte contre la criminalité, ne pourraient-elles pas amplifier la crise de confiance ambiante ?
M.G : Pour augmenter l’efficacité de la politique des taux d’intérêt négatifs, il est question au sein de certaines Banques Centrales d’envisager un mouvement vers la « cash-less economy ». C’est sûr que le jour où il n’y a plus de moyen d’effectuer ses paiements autrement que par carte de crédit ou smartphone, l’implémentation des taux négatifs devient un jeu d’enfant. Si elle vise à augmenter l’efficacité des taux d’intérêt négatifs, la suppression du cash, ou du moins les grosses coupures, serait interprétée comme une mesure de répression financière et provoquerait une crise de confiance envers les Banques centrales.
5. PdM : Un fonds souverain suisse alimenté par la BNS est occasionnellement évoqué, notamment pour financer des projets d’infrastructures et des start-ups. Est-ce que ceci serait une bonne idée ?
M.G : Oui ! La question mérite d’être posée et il faudrait que nous puissions nous exprimer dans les urnes sur ce sujet plutôt que de laisser le droit de rejeter cette initiative à la seule BNS. En ce que le fonds souverain pourrait s’ouvrir à des placements à très long terme comme des investissements d’infrastructure, nous aurions ici un moyen de sortir de l’équation « à faible croissance de l’économie, maigres revenus des investissements ».
6. PdM : La compétitivité des places financières genevoise et suisse est souvent évoquée. Comment voyez-vous le rôle des nouvelles technologies, autrement dit la Fintech, dans le monde non seulement de la prévoyance, mais de la finance en général ?
M.G : Les places financières genevoises et suisses doivent se renouveler après la disparition du secret bancaire. Les nouvelles tendances que sont la Fintech, la neuro-finance ou la finance durable sont autant de vecteurs structurants et dynamisants. Ces 3 axes constituent les piliers de la recherche au Geneva Finance Research Institute.
Merci Monsieur le Professeur !
Interview pour Point de Mire réalisée par Daniel Stanislaus Martel
Un riche parcours professionnel
Michel Girardin enseigne la Macro-finance au Geneva Finance Research Institute (www.gfri.ch), institution rattachée à l’Université de Genève. Il a obtenu une thèse de doctorat en économie politique à l’Université de Lausanne, ainsi qu’un Master en économie à la London School of Economics (LSE). Michel a une expérience de 30 ans comme Chef économiste et Chief Investment Officer dans le secteur bancaire suisse, où il a également géré des fonds en actions et obligations, ainsi qu’un fonds de Hedge Funds en Asie. Ses enseignements à l’Université de Genève familiarisent les futurs gérants de fortune et économètres avec la macro-finance appliquée. De plus, il est membre du Conseil de Fondation du Centre International d’Etudes Monétaires et Bancaires (CIMB) à Genève. Il a également partagé son riche savoir en macro-finance au centre Financial Asset