Katia Coudray: « Aujourd’hui, l’urgence climatique concerne aussi la Finance »

Katia Coudray: « Aujourd’hui, l’urgence climatique concerne aussi la Finance »

août 30, 2021 Non Par Daniel Stanislaus Martel

Un monde plus équitable sera le résultat de la transition écologique et sociale. La première s’adresse à la planète, la deuxième aux humains qui la peuplent. Après des décennies consacrées à la mise en place d’accords sur cette thématique fondamentale, de programmes et de publications y relatifs, la Finance s’aligne désormais sur cet enjeu majeur. Katia Coudray, fondatrice de Asteria Investment Managers en 2019 et CEO depuis lors, donc durant la pandémie, applique ces mêmes principes à sa société. Pour elle, ceux-ci commencent par ouvrir les postes
à responsabilités aux femmes, toujours sous-représentées auprès des acteurs de la finance.

Asteria Investment Managers: de la gouvernance au développement durable

Propos recueillis en exclusivité pour Point de Mire par Daniel Stanislaus Martel

Point de Mire : Katia Coudray, vous avez pris la tête d’Asteria Investment Managers en tant que CEO en 2019 juste avant la crise sanitaire. Après plus d’une année de recul, quelles sont, pour vous, les accomplissements réalisés pendant cette période très particulière, notamment au niveau du lancement de vos deux premiers fonds UCITS orientés sur l’Impact Investing ?

Katia Coudray : Asteria a été créé en « page blanche », avec tout ce que cela implique, de la licence FINMA, du recrutement des spécialistes jusqu’aux presque 100 millions sous gestion après même pas un an. C’est effectivement une réussite d’avoir été capable d’accomplir toutes les étapes dans une période qui était assez particulière. Malgré le Covid, j’ai eu la chance de compter sur une équipe pluridisciplinaire passionnée et extrêmement dédiée, sans compter sur les clients. Asteria s’appuie aujourd’hui sur une quinzaine de personnes et gère des fonds à impact climatique et social.

PdM  : Sous votre conduite, Asteria Investment Managers coopère étroitement avec différents gestionnaires d’actifs comme Obviam et s’appuie sur sa proximité avec le Groupe Reyl. Est-ce que les récentes annonces relatives à la fusion entre le Groupe Reyl et Fideuram-Intesa Sanpaolo Private Banking (Fideuram-ISPB) vont changer vos rapports avec le groupe Reyl à la base, rappelons-le, du lancement d’Asteria Investment Managers?

K.C . : Asteria est un gérant d’actifs institutionnel à impact environnemental et social. Obviam est active dans la finance du développement, puisque la majorité de ses actifs provient de SIFEM (Swiss Investment Fund for Emerging Markets), l’institution de développement de la Confédération suisse. Ce rapprochement peut donc élargir la palette de nos services adressés aux clients institutionnels, y compris par des partenariats public-privé. Quant au rapprochement de Reyl et Fideuram Intesa Sanpaolo, Reyl est l’actionnaire majoritaire d’Asteria, le reste du capital est entre les mains de notre management. Le rapprochement avec Intesa Sanpaolo promet de nouvelles impulsions. Par ailleurs, les deux entités pratiquent une approche durable depuis longtemps.

PdM : En tant que professionnelle de la gestion d’actifs avec un parcours remarqué au niveau de la place financière genevoise, quel regard portez-vous sur les récentes évolutions de ses acteurs qui se portent de plus en plus vers un modèle de gestion de fortune et institutionnelle basée sur une licence FINMA pour la gestion collective ?

K.C . : J’ai consulté les statistiques de la FINMA d’attribution de licences. En fait le nombre de sociétés d’investissement est assez stable en Suisse. La licence d’investissement FINMA reste une barrière d’entrée plutôt élevée, car elle exige passablement de ressources en personnel et en capital. Par conséquent, on assiste à une évolution assez stable du nombre de ces licences. L’obstacle principal est la problématique de l’accès à l’Union européenne pour y proposer les services financiers, ce qui limite la distribution de fonds suisses au marché suisse.

PdM : Avec le récent refus de la loi sur le CO2 en Suisse, pensez-vous que les récentes percées de la place financière suisse au niveau des pratiques ESG puissent être ralenties ?

K.C . : Je ne pense pas. Je trouve regrettable que cette loi n’ait pas passée, notamment parce qu’elle comportait un fonds d’investissement pour soutenir l’innovation dans les énergies renouvelables.

Personnellement je regrette que la Suisse ne soit pas plus active dans la promotion de l’investissement en matière climatique. Est-ce que le « non » va ralentir l’implémentation des critères ESG (Environnementaux, Sociaux, ou de Gouvernance), je ne pense pas.  Aujourd’hui, l’urgence climatique concerne aussi la Finance. Je pense que c’est important pour atteindre les objectifs visés par les Accords de Paris, que la Suisse a ratifié en 2017 et qui visent à contenir le réchauffement à 1,5 degré à l’horizon 2050 et par conséquent à réduire de façon significative les émissions de gaz à effet de serre, ce qui est impossible sans investissements publics et privés ciblés.

La vision d’Asteria Investment Managers à l’épreuve de la conjoncture et des évolutions réglementaires

PdM : On parle désormais du monde post-Covid-19, quelles sont d’après vous les trois tendances dominantes qui s’annoncent ?

K.C . : Je suis toujours assez humble dans la prospective car je n’ai pas de boule de cristal et c’est une période périlleuse pour prédire l’avenir. Je pense que d’un point de vue économique, la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si la reprise post-Covid est durable et surtout si elle va amener le retour de l’inflation, et donc de permettre de sortir des douze dernières années de stagflation. En ce moment, les chiffres économiques sont assez favorables, car ils bénéficient d’une comparaison favorable face à 2020, cette tendance devrait revenir à la normale. Sinon je pense que le Covid a bien mis en exergue deux tendances assez fortes. La première, c’est que la société s’est avérée fragile. On a vu en période Covid des inégalités sociales sortir au grand jour dans les pays développés y compris la Suisse. Je pense que cela démontre les besoins pour une société plus équitable. Et la deuxième est liée au climat. Pendant cette période de shutdown, les émissions de carbone ont chuté et la nature a commencé à reprendre ses droits. Cela a certainement été un mouvement qui a accéléré la prise de conscience de l’urgence climatique.

PdM : En matière de marketing et de promotion de fonds de placement collectifs dans le cadre de la LSFin, pensez-vous que la distribution de fonds de placement suisses puisse trouver un regain de dynamisme auprès des institutionnels que vous visez comme les caisses de pensions suisses ?

K.C . : Il y a quelques éléments dans la LSFin qui ont amené des solutions un peu plus flexibles, mais globalement, le dilemme c’est la restriction de commercialiser des fonds suisses uniquement sur le marché suisse. Je pense que les émetteurs suisses vont répondre à la croissance des actifs des caisses de pension. Donc, il est possible au fait que quelques nouveaux fonds spécialisés soient émis, toutefois je n’ai pas le sentiment que la croissance du nombre de ces véhicules soit nettement supérieure à celle du marché de la prévoyance.

PdM : Restons dans le domaine de la prévoyance. Comment voyez-vous l’évolution du système de prévoyance en Suisse et plus particulièrement le financement des prestations de nos caisses de pensions par la capitalisation ?

K.C . : On aurait supposé qu’avec les taux négatifs le secteur de la prévoyance souffrirait bien davantage dans cet environnement. Les rendements obligataires négatifs ont été compensés d’une part par l’excellente performance boursière et d’autre part par le rendement des placements dans l’immobilier direct. Les acteurs de la prévoyance suisses ont donc pu maintenir les taux de couverture. Je pense que notre système de prévoyance est plutôt sein, même très sein. Il y a peut-être un risque à surveiller, lié à l’augmentation de la part immobilière qui a atteint un record historique de 27 % des allocations si je m’abuse, et qui pourrait par conséquent être relativement vulnérable à une éventuelle remontée des taux

PdM : Comment voyez-vous l’avenir de la place financière genevoise et suisse à plus long terme et comment anticipez-vous le rôle de votre groupe et de ses partenaires ?

K.C . : Pour la place financière suisse comme pour la place financière européenne les acteurs doivent relever des défis liés à l’érosion des marges qui découle de plusieurs facteurs, dont celui lié à la baisse des rendements dû au taux d’intérêts très bas. Pour y remédier et pour maintenir la qualité des services souhaitable, les institutions doivent atteindre une taille critique. En Suisse on a donc observé une concentration dans le secteur bancaire qui devrait se poursuivre. Concernant notre actionnaire principal Reyl, il jouit d’une situation privilégiée grâce à son partenariat stratégique récent avec Fideuram et Intesa Saopaulo Private Bank en matière de taille critique et de solidité financière. Reyl a démontré une croissance très intéressante au fil de ces dernières années alliée à une culture d’entrepreneurs. Nul doute que Reyl poursuivra sa croisssance à un rythme soutenu.

Les 50 ans du droit de vote aux femmes

PdM : Quelles sont d’après vous les atouts particuliers des femmes dans le monde de la finance ?

K.C . : Pour moi, il n’y a pas de caractéristiques «typiquement » féminines. Par contre, pour la diversité, le fait d’enrichir le monde professionnel par les femmes permet aux sociétés de devenir plus compétitives. Une étude qui a comparé la performance boursière durant les dix dernières années de sociétés qui avaient le plus de femmes dans le Conseil d’administration et le management avec celles qui en avaient le moins, a démontré que les écarts de performance étaient de plus de 100 % en faveur de sociétés qui comptaient le plus de femmes. La diversité peut donc apporter beaucoup aux sociétés. Je pense que le plus important aujourd’hui pour une femme c’est d’obtenir les mêmes chances qu’un homme dans le monde professionnel. On a la chance de vivre dans un pays où la part des femmes sortant des universités se situe autour de 50 %. C’est donc très surprenant d’en retrouver qu’une toute petite minorité parmi les dirigeants des sociétés quelques années plus tard. Il est nécessaire de travailler sur des mécanismes leur assurant les mêmes chances qu’aux hommes d’atteindre un poste de direction. Je pense que ce « rattrapage » sera le véritable atout des femmes. Nous avons un énorme effort à fournir en Suisse qui se situe parmi les très mauvais élèves en matière de diversité au sein des instances de management. Nous aurions tous à y gagner.

PdM : Quels trois conseils donneriez-vous aux jeunes femmes dans la finance qui souhaitent se réaliser ?

K.C . : Alors, premièrement qu’elles soient, je dirais, persévérantes, et tenaces, dans la finance ou ailleurs, parce que c’est l’une des caractéristiques importantes, au niveau professionnel, qu’elles aient la passion pour ce qu’elles font, qu’elles soient engagées, et surtout qu’elles restent elles-mêmes et qu’elles évitent d’adopter les codes masculins pour avancer. Elles n’en ont pas besoin. La finance reste un secteur où la diversité parmi les cadres pourraient être largement améliorée. Les femmes qui font les mêmes études que les hommes ne les suivent guère dans la trajectoire professionnelle.

Ayant créé et co-fondé Asteria Investment Managers en 2019, Katia Coudray dirige depuis lors ce gestionnaire d’actifs entièrement dédié à l’investissement d’impact qui fait partie du groupe Reyl. Précédemment, elle a été CEO de SYZ AM, entité d’asset management du groupe SYZ, et membre du comité de direction du groupe. Avantde rejoindre SYZ en 2011, elle a été directrice de la plateforme d’innovation et de multigestion de l’Union Bancaire Privée (UBP) pendant dix ans, où elle était notamment en charge du développement d’une offre complète d’investissement sur lesmarchés émergents (Russie, Mena, Asie, Latam). Katia Coudray est convaincue de la nécessité d’adapter la finance moderne à l’évolution de la société en faisant converger le capital vers des investissements durables et porteurs d’avenir. La finance d’impact doit être démocratisée en donnant accès à tout type d’investisseurs grâce à des solutions d’investissement liquide en plus de solutions privées.