Actions suisses non cotées: pourquoi une nouvelle allocation dans l’OPP2?

Actions suisses non cotées: pourquoi une nouvelle allocation dans l’OPP2?

mai 20, 2022 Non Par Invité(e)s

Dr Christian Waldvogel, Directeur associé

Fondation Renaissance.

Dr Jacques André Schneider

Expert et administrateur indépendant.

A l’origine, tout a commencé avec la motion 13.4184 Graber «Caisses de pension. Placements à long terme dans les technologies d’avenir et création d’un fonds à cet effet», déposée le 12 décembre 2013 par Konrad Graber, alors conseiller aux états du canton de Lucerne. Cette motion comprenait essentiellement deux volets: premièrement, le lancement de Fonds suisse pour l’avenir financé par les caisses de pension, puis des modifications réglementaires pour faciliter l’investissement par les caisses de pension suisses dans les PME suisses innovantes, dont les start-up particulièrement. Le premier volet n’a pas abouti car les caisses de pension ne sont pas, à juste titre, en faveur de se voir imposer qu’un pourcentage de leur fortune soit obligatoirement dédié à une allocation spécifique. Le deuxième volet de la motion Graber a donné lieu à une nouvelle allocation Private equity suisse dans l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (oPP2), décidée par le Conseil fédéral en date du 17 novembre 2021. Ce deuxième volet est certes incitatif mais pas contraignant pour les caisses de pension.

Zoom sur la nouvelle allocation private equity suisse

Comme le souligne l’office fédéral des assurances sociales (OFAS), l’approche retenue pour le private equity suisse est semblable à celle adoptée par le Conseil fédéral le 26 août 2020 pour la catégorie des placements dans les infrastructures: «Le principe de base de cette modification consiste à extraire ces placements du catalogue des placements alternatifs.» Ainsi, le private equity suisse est devenu une catégorie de placements à part entière et bien distincte, évitant ainsi une «satellisation» au sein de l’allocation Private equity dans les placements alternatifs. Effective depuis le 1 er janvier 2022, cette nouvelle catégorie de placements permet aux caisses de pension d’investir jusqu’à 5% de leur fortune dans deux types de placements, à savoir les investissements en fonds propres (private equity) et les créances (private debt) dans les sociétés non cotées suisses. Cette catégorie autorise des investissements en direct dans les sociétés non cotées ou à travers des placements collectifs (fonds ou fonds de fonds).

Quelles opportunités pour cette nouvelle allocation?

En termes de capitalisation, la Bourse suisse fait partie des 15 plus grandes places financières mondiales, mais elle est de loin la plus concentrée. À eux seuls, les groupes Nestlé, Novartis et Roche représentent 50% du Swiss Market index (SMI). Cette nouvelle allocation Private equity suisse offre ainsi la possibilité aux caisses de pension de diversifier leur exposition aux sociétés suisses en intégrant les entreprises non cotées. Les PME suisses représentent 50% du produit national brut (PNB) et, dans leur grande majorité, ne sont pas cotées en Bourse. Avec plus de 10 000 PME suisses comprenant entre 50 et 250 employés, l’univers d’investissement de cette nouvelle catégorie est amplement suffisant.

Une classe d’actifs grandissante

La portion du PNB suisse représentée par des entreprises non cotées est en constante augmentation. Ce phénomène est déjà prononcé aux Etats-Unis avec une diminution de 50% du nombre de sociétés cotées sur les vingt-cinq dernières années, due essentiellement à la consolidation des secteurs industriels et à la diminution du nombre d’entrées en Bourse. Cette diminution d’entrées en Bourse s’explique principalement par la forte augmentation des capitaux de private equity qui se substituent aux capitaux des marchés publics. Certaines sociétés renoncent également à une cotation, ou décident même du retrait de la cotation, afin d’éviter les rigueurs réglementaires et les coûts spécifiques aux marchés cotés.

Les entreprises non cotées suisses représentent des opportunités d’investissements intéressantes. Par le passé, les PME suisses ont en effet démontré leurs performances financières, un taux de croissance organique souvent supérieur aux grandes sociétés cotées du SMI et une excellente résilience lors de crises économiques, y compris durant la crise sanitaire actuelle. Les excellentes performances historiques du SPI extra sont révélatrices du potentiel des PME suisses non cotées, car de nombreuses entreprises composant l’index SPI extra affichent les mêmes spécificités que les PME suisses non cotées. Cela représente les sociétés à caractère familial ou tout au moins d’origine familiale, avec une forte assise en Suisse et une activité axée sur l’international dans des marchés de niche bien définis et de haute valeur ajoutée. Ainsi, il faut percevoir le private equity suisse comme une opportunité de diversification des actions suisses dans le cadre d’une allocation de placements performante, à part entière et bien cadrée, prenant en considération ses spécificités en termes de risques et de liquidités.

Il serait erroné de cantonner la création de cette nouvelle catégorie à une simple réponse politique à la motion Graber. Bien au contraire, on ne peut que se féliciter qu’une telle initiative politique ait accouché d’une mesure aussi concrète au niveau de l’oPP2, facilitant de nouvelles opportunités d’investissements dans les PME suisses non cotées pour les caisses de pension et leurs adhérents, tout en renforçant potentiellement la contribution des caisses de pension à la réussite économique suisse. Il s’agit d’un élément fondamental pour la pérennisation de la prévoyance professionnelle suisse, d’autant plus que les PME représentent deux tiers des emplois en Suisse et constituent de ce fait un contributeur primordial à l’AVS et au 2 e pilier.

Dr Jacques André Schneider
Dr Christian Waldvogel