Evolution de la réglementation et des plateformes suisses de financement immobilier
mai 22, 2022Deborah Lechtman
Associée junior au sein de l’étude OA LEGAL
Avocate inscrite au barreau de Genève
Alexandre de Boccard
Fondateur de l’étude OA LEGAL
Le crowdfunding (financement participatif) permet de collecter des fonds publiquement par internet dans le but de financer des projets. Dans le domaine immobilier, cela permet de réunir plusieurs investisseurs finançant directement ou indirectement l’acquisition d’un bien immobilier ou une promotion immobilière. À ce jour, les plateformes suisses de crowdfunding immobilier utilisent principalement deux modèles: (i) le modèle d’investissement direct dans le bien immobilier (l’investisseur devient copropriétaire inscrit au registre foncier) et (ii) le modèle sous forme de forme de prêts (le plus souvent standardisé et émis sur la base d’un document d’émission ou d’un prospectus).
Augmentation de plus de 55%
Selon la dernière version du rapport de l’Université de Lucerne des sciences appliquées et des arts intitulé «Crowdfunding Monitor Switzerland 2021», ce deuxième modèle, communément appelé «real estate crowdlending», a connu une forte augmentation entre 2019 et 2020 (plus de 55,3%). Contrairement aux fonds immobiliers, une plateforme de crowdfunding immobilier n’est en principe pas soumise à l’autorisation préalable de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma), ce qu’il convient toutefois de vérifier au cas par cas. Ce type de plateforme permet à l’investisseur de sélectionner lui-même le bien immobilier. Ainsi, et contrairement aux fonds immobiliers, une telle plateforme n’a pas de gestionnaire (asset manager) en tant que tel et c’est l’investisseur en personne qui prend la décision d’investissement. Depuis 2014, le nombre de plateformes suisses de crowdfunding immobilier continue d’augmenter. Selon le «Crowdfunding Monitor Switzerland 2021», six plateformes de crowdfunding immobilier étaient actives en Suisse en 2020.
Les objectifs de la finma
Dans le cadre de la publication de ses objectifs stratégiques 2021–2024, la Finma indique ce qui suit: «Forte des progrès réalisés ces dernières années, la Finma reste ouverte aux approches novatrices et continue d’élargir son expertise dans ce domaine. Elle fournit des ressources suffisantes pour traiter les demandes en temps utile et de manière experte. Lorsqu’elle applique les réglementations existantes à des modèles d’affaires et à des produits innovants, la Finma adopte une approche pragmatique et prospective. Elle veille à ce que la réglementation et la surveillance ne présentent pas d’obstacles inutiles à l’innovation et soient conçues de manière à être technologiquement neutres, et ce, afin que les modèles d’affaires et les produits innovants bénéficient de chances équitables sur le marché…». En 2017 déjà, la Finma s’était engagée à réduire les obstacles réglementaires inutiles au développement de modèles d’affaires innovants dans le cadre de ses objectifs pour les années 2017 à 2020. La réglementation suisse a également évolué, notamment avec l’entrée en vigueur en 2021 de la loi dite «dLt», qui n’est pas une loi spéciale en tant que telle, mais une adaptation de plusieurs lois, y compris le Code suisse des obligations (art. 973d Co) et les lois financières suisses. Or, les modifications apportées par la loi dite «dLt» ainsi que l’utilisation accrue de la blockchain dans les modèles d’affaires innovants viennent parfois bousculer certains modèles modernes de financement.
Quid des jetons numériques?
Une des questions qui se pose est de savoir si le droit suisse permet d’émettre un jeton représentant un actif immobilier et si un bien immobilier peut être vendu par le biais d’un jeton numérique (token). Dès lors qu’une vente d’immeuble n’est valable que si elle est effectuée par acte authentique (art. 216 Co), autrement dit devant notaire, et qu’une inscription au registre foncier est nécessaire pour une acquisition de la propriété foncière (art. 656 CC), le token (smart contract) ne saurait à lui seul suffire pour transférer la propriété d’un bien immobilier. Or, tant que le registre foncier n’inclut pas cette possibilité d’utiliser la blockchain pour vérifier la propriété d’un bien immobilier et procéder à une vente (où le notaire interviendrait par exemple comme oracle afin de valider la transaction), les possibilités actuelles d’utiliser un token en lien avec une acquisition ou vente d’un bien immobilier sont réduites, voire inexistantes. En outre, lier un bien immobilier à un jeton numérique (sans que la propriété ne soit transférée) pose la question de la qualification juridique d’un tel token. Si un tel token est considéré comme droit-valeur inscrit (art. 973d Co) et est émis de manière standardisée, il sera qualifié de valeur mobilière (ce qui a un certain nombre de conséquences réglementaires, en particulier dans le cadre de l’organisation du marché secondaire).
Observer les futurs modèles
Pour rappel, le real estate crowdlending a connu une forte progression entre 2019 et 2020. En outre, le droit actuel permet l’émission d’une dette standardisée sous la forme d’un jeton numérique. Compte tenu de ces deux facteurs, ce modèle devrait être amené à se développer à l’avenir. Comme indiqué précédemment, ces émissions de dettes sont le plus souvent standardisées. Lorsqu’une telle émission est standardisée, elle devient un instrument financier. Par ailleurs, certaines banques et maisons de titres suisses sont désormais autorisées par la Finma à détenir des jetons numériques pour le compte de clients. Ces prochaines années, il sera intéressant d’observer l’évolution des modèles d’affaires des plateformes de financement immobilier et leur lien avec les acteurs régulés et autorisés, cela, compte tenu notamment des récents développements législatifs, du fait que certaines banques acceptent de détenir des jetons pour le compte du client et de l’évolution des modèles d’affaires des plateformes de financement immobilier.
Deborah Lechtman
Deborah Lechtman, associée junior au sein de l’étude OA LEGAL, est avocate inscrite au barreau de Genève, spécialisée dans le droit règlementaire, le droit des sociétés, le droit contractuel et la protection des données (y compris RGPD). Elle conseille dans ce cadre des banques et établissements financiers, y compris des FinTech et plateformes de crowdfunding, ainsi que des sociétés commerciales. Elle est certifiée CIPP/E et CIPM.
Alexandre de Boccard
Alexandre de Boccard, fondateur de l’étude OA LEGAL, est avocat inscrit aux barreaux de Genève et de New York spécialisé en droit financier. Il conseille des banques, établissements financiers, notamment des gestionnaires de fortune collective (Asset Managers) et des GFI, des émetteurs d’instruments financiers, des fondations de prévoyance professionnelle, des FinTech (y compris des plateformes de crowdfunding), notamment dans le domaine du droit financier et du droit contractuel