Une application à la rescousse des 13 milliards de francs égarés sur des comptes en libre passage

Une application à la rescousse des 13 milliards de francs égarés sur des comptes en libre passage

mai 11, 2021 Non Par Daniel Stanislaus Martel

Propos recueillis en exclusivité pour Point de Mire par Daniel Stanislaus Martel

Changement d’employeur, mise à son compte, temps partiel, mission à l’étranger, congé sabbatique… et les avoirs se perdent dans différentes institutions de prévoyance ou, pire, plusieurs comptes de libre-passage. Ce qui a paru « tolérable » durant les « bonnes années » ne l’est plus à l’heure du Covid et ne le sera pas non plus après. Comment traquer toutes ces fortunes à l’abandon ? Un entrepreneur dynamique et romand basé à Delémont, Diego Rohner, vient de trouver la solution. Son application « Kala », littéralement à la portée de tout un chacun, automatise la recherche de tous les avoirs auprès des 1500 institutions de prévoyance et fondations de libre passage en Suisse. Quelle est la portée de cette solution ?

Point de Mire : Monsieur Diego Rohner, votre application permet le traçage d’avoirs de prévoyance professionnelle. Quelle a été l’inspiration a la base de votre initiative ?

Diego Rohner : J’exerce la profession de planificateur financier depuis plus de 10 ans, et pour faire une planification de retraite comme il se doit, nous voulons connaitre tous les éléments de fortune. Le marché du libre-passage est estimé à plus de 55 milliards de CHF et concerne environ 2’000’000 de personnes en Suisse. Beaucoup de détenteurs de ces comptes ne connaissent pas tous les détails et de ce fait, un bon planificateur va faire une demande auprès de la Centrale du 2ème pilier qui recense tous les détenteurs de comptes auprès de plus de 1’500 instituts de prévoyance en Suisse. Pour le professionnel, cette démarche était plutôt fastidieuse et pas digitalisée. L’idée m’est donc venue de cette problématique.

PdM : Comment l’avez-vous mis en œuvre et incorporé les modules techniques sous l’angle de votre application « Kala » ?

D.R. : Avoir une idée c’est bien joli, mais la mettre en application c’est encore autre chose. J’ai créé il y a 5 ans un incubateur de startups avec une douzaine de personnes qui travaillent pour la plupart dans le développement d’applications mobiles. C’est à elles que revient le mérite de l’application que nous avons aujourd’hui.

PdM : Quelles sont les bases de votre business model ?

D.R. : Notre modèle d’affaires repose principalement sur le B2B. Sur le marché de la bancassurance, très peu d’acteurs exploitent le potentiel que décèle le libre-passage. A ma connaissance, aucune grosse entité dans le monde de la bancassurance ne fait systématiquement une démarche de recherche d’avoirs pour ses clients. En moyenne, chaque citoyen actif possède 10’587 CHF en libre passage alors peu d’entités sont prêtes à redoubler d’efforts et de tracas administratifs pour une aussi petite somme. Cependant, quand il est possible de faire la recherche et de rapatrier les avoirs en 3 clics, ça change la donne !

PdM : Quelles ont été les premières réactions des acteurs de la prévoyance et quelle attitude ont-ils adopté depuis ?


D.R. : Pour le moment, nous sommes en contact avec divers grands groupes d’assurances et de banques et je suis fier de dire que pour le moment, le 100% est intéressé. Il faut dire que dans le cas d’un grand groupe d’assurance, il y a souvent déjà un produit de libre passage qui existe et qu’il est très intéressé à augmenter sa masse sous gestion. En revanche, le service externe de la marque n’est pas disposé à mettre de l’énergie dans des tracas administratifs pour une rémunération de faible ampleur. Notre solution Kala Pro est donc destinée à faciliter la vie des services externes et fera par ricochet les beaux jours des administrateurs et conseillers du 2e pilier. A noter que dans le cas où la marque ne possède pas encore de solution de libre-passage, nous avons plusieurs partenaires déjà intégrés dans notre application.

PdM : Comment le grand public a-t-il adopté votre application « Kala » et votre démarche B2C ?

D.R. : J’aimerais commencer par dire que le lancement au 01.12.2020 de la version B2C gratuite a été un véritable tremplin pour nous. D’une part, car les nombreux feedbacks nous ont permis d’améliorer l’application, mais aussi car cette version nous a donné énormément de visibilité sur le marché ce qui fait que plusieurs grands acteurs sont venus à nous. Et nous savons tous que lorsque ce n’est pas nous qui avons dû démarcher mais que c’est le futur partenaire qui vient à nous, la négociation est plus agréable.

PdM : Comment évaluez-vous l’éventuelle apparition d’un concurrent ?

D.R. : J’aimerais déjà commencer par leur souhaiter bonne chance. En effet, le projet est né dans ma tête en 2017, et depuis, nous nous sommes confrontés à d’innombrables montagnes. Quatre ans plus tard, l’application a vu le jour. Au-delà de la partie technique et légale, il faut avoir les reins solides. De plus, pour trouver des partenaires, il faut souvent avoir une porte d’entrée. On sait que ce n’est pas évident pour une startup de pouvoir parler à une personne décisionnaire dans une banque ou une compagnie d’assurance. Nous avons la chance de compter parmi notre conseil d’administration et parmi nos investisseurs, une personnalité très connue qui a siégé de nombreuses années dans le conseil d’administration d’un des plus grands groupes d’assurances en Suisse.

PdM : Dans quelle mesure votre application peut-elle s’adapter à un modèle B2B pour atteindre les intermédiaires de la prévoyance comme les courtiers et Wealth Managers ?

D.R. : Nous proposons plusieurs solutions, modulables selon le partenaire. Si l’on parle d’une application, elle peut être autonome, en « white label » ou intégrée dans l’éventuelle application existante du partenaire. Tout notre processus sera également intégrable en format web. Nos frais de mise en place sont très faibles et seront à terme également destinés aux plus petits acteurs, par exemple : courtiers, agences de placement de personnel, études d’avocats, etc.

PDM : Pour finir une question plus générale. Comment voyez-vous l’avenir de la prévoyance vieillesse en Suisse ?

D.R. : Pour rester dans le thème, je vais principalement parler du 2e pilier. Aujourd’hui, la plupart des citoyens portent peu d’importance à la manière dont sont placés les avoirs, les 13 milliards de la Fondation supplétive LPP procurant 0.01% d’intérêts en 2021 en disent beaucoup. Pourtant, ce sont des sommes qui sont bloquées durant des dizaines d’années et on sait l’effet que peuvent produire les intérêts composés sur une aussi longue période. Se soucier d’où se trouvent ses avoirs et d’ensuite les placer va générer 10% à 30% de fortune complémentaire à la retraite. Pour répondre à votre question, j’espère sincèrement que les citoyens vont se sensibiliser à cela et qu’ils vont utiliser les moyens qui sont mis à leur disposition pour améliorer leur situation à la retraite.